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autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable ; il faut la faire regarder comme authentique, éternelle et en cacher le commencement, si on ne veut qu’elle prenne bientôt fin[1]. »

Pascal, qui vient de saper les colonnes, ne se propose pas cependant de renverser le temple : sa thèse, révolutionnaire en son fond, est d’intention conservatrice ; aussi ne tient-il pas au peuple ces discours subversifs, et ce n’est pas à lui qu’il s’adresse, n’espérant pas « s’en faire entendre ; » mais d’autres, après Pascal, les lui tiendront, et le peuple y prêtera aisément l’oreille. D’autres lui répéteront, dans une autre intention, et avec toutes les conséquences, que « comme les duchés et les royautés et magistratures sont réels et nécessaires, à cause de ce que la force règle tout, il y en a partout et toujours ; mais parce que ce n’est que la fantaisie qui fait qu’un tel ou un tel le soit, cela n’est pas constant, cela est sujet à varier[2]. » D’autres reprendront amèrement : « Dans la lettre de l’Injustice, peut venir la plaisanterie des aînés qui ont tout. Mon ami, vous êtes né de ce côté de la montagne, il est donc juste. que votre aîné ait tout[3] ; » ou bien : « Il est vrai qu’il, faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif[4] ; » ou enfin : « Que l’on a bien fait de distinguer les hommes par l’extérieur plutôt que par les qualités intérieures ! Qui passera de nous deux ? qui cédera la place à l’autre ? Le moins habile ? mais je suis aussi habile que lui[5]. » Tous ces autres, chacun pour sa part, détendront par là « les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres, » ces « cordes de nécessité, » qui néanmoins ne sont que « cordes d’imagination[6]. » Par là, en attendant, se glisse dans Pascal, malgré lui, un souffle révolutionnaire, et l’on s’aperçoit, s’il est permis de s’exprimer de la sorte, que le XVIIe siècle n’est pas très loin du XVIIIe.

Ce ne serait pas assez de le dire à cause du sens profond de légalité qui se révèle : à la hauteur où Pascal s’est placé, tous les hommes, grands ou petits, sont l’homme ; et toutes leurs grandeurs, comme toutes leurs misères, ne sont que la

  1. Pensées, article IV, pensée IV.
  2. Ibid., art. VII, pensée XII.
  3. Ibid., art. XXVI, pensée CXI.
  4. Ibid., art. VI, pensée II.
  5. Ibid., pensée VI.
  6. Ibid., art. VII, pensée IX.