Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’air ne se renouvelle jamais, de marcher sur de la vraie terre, de voir des arbres et des champs. Les îlots de la lagune et les bords de la Brenta se couvrirent, les premiers, de propriétés. Puis les familles riches allèrent plus loin, vers Padoue et Trévise, acquirent des domaines sur les collines Euganéennes et jusque sur ces montagnes de Bassano dont ils apercevaient la ligne bleue à l’horizon, toutes les fois que leur gondole, au sortir du rio San Felice ou du rio dei Mendicanti, débouchait dans la lagune, vers San Michele ou Murano.

Il est tout naturel que les deux frères Barbaro : Daniel, patriarche d’Aquilée, l’un des plus hauts dignitaires de l’Église, et Marc-Antoine, ambassadeur de la République auprès de Catherine de Médicis et de Sixte-Quint, négociateur de la paix après Lépante, procurateur de Saint-Marc, aient voulu avoir un palais rural digne d’eux et de leur rang. Ils s’adressèrent aux plus grands artistes du temps, à Andréa Palladio pour l’architecture, à Alessandro Vittoria pour la décoration sculpturale, à Paolo Caliari pour les fresques. De cette triple collaboration est sortie la somptueuse demeure qui, de la famille Barbaro, passa, à la fin du XVIIIe siècle, à Ludovic Manin, le dernier doge de Venise, et, après de longues années d’abandon, devint la villa Giacomelli, du nom de l’aimable propriétaire qui l’a restaurée et qui voulut bien m’en faire les honneurs.

Suivant le plan généralement adopté par Palladio, la villa, adossée à un coteau d’où elle domine légèrement la plaine, se compose d’un palazzo central en forme de temple, avec quatre colonnes ioniques supportant un fronton triangulaire, et de constructions latérales plus basses, précédées d’arcades et terminées par deux pavillons, sortes de colombiers dont les rez-de-chaussée étaient destinés, d’après l’architecte, l’un aux pressoirs, l’autre aux écuries et aux remises. Derrière, une cour communique de plain-pied avec le premier étage du bâtiment central. « Cette cour, dit Palladio, est de niveau avec le sol de la colline qui a été taillée et abaissée tout exprès pour faire place à une fontaine richement décorée de stucs et de peintures. » C’est Alessandro Vittoria, l’associé de Sansovino, qui exécuta cette décoration, ainsi que l’ornementation générale du palazzo et des jardins. Il y déploya toute son adresse de main et son tempérament fougueux ; mais, là comme ailleurs, il manqua un peu de mesure et visa trop uniquement à l’effet. Il y a excès