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que l’éclat des couleurs et la beauté des formes s’insinuent dans l’imagination. » Nul écrivain n’associa mieux les états psychologiques aux décors naturels. Sous le titre de Paysages passionnés que j’ai pris pour réunir en volume quelques-unes des pages où j’ai également essayé d’adapter des descriptions pittoresques à une action, quel choix d’émouvans morceaux l’on pourrait faire dans son œuvre ! Et qu’il m’est doux, ce soir, sous les tilleuls de Bassano, d’évoquer le souvenir de la trop ardente amoureuse et de songer qu’ici, elle respira ce même vent du Sud qui souffle, par tièdes bouffées, tout parfumé d’avoir passé sur Venise et sur les jardins de la Brenta !


VII. — MASER

Si près de Maser et de Fanzolo, j’ai voulu revoir les deux célèbres villas qu’y construisit Palladio. Il n’est pas, pour le voyageur, de joie plus grande que celle du retour dans les beaux lieux qui, un jour, l’enchantèrent. Il sait que vont revivre ses anciennes impressions ; mais il a hâte de savoir aussi de combien elles s’enrichiront. D’ailleurs, j’avais vu ces villas au printemps, quand les lilas et les arbres en fleurs leur font une ceinture odorante ; de quel charme nouveau l’automne n’allait-elle pas les parer ? Tout récemment, dans une de ses conférences sur Molière, M. Maurice Donnay a comparé bien spirituellement Don Juan à ces touristes pressés qui visitent les villes d’Italie entre deux trains, qui arrivent, courent à l’église et au musée, puis repartent. « Ils ont vu la ville un matin, un après-midi de printemps ou d’automne, ils ne la reverront jamais par d’autres ciels, sous d’autres couleurs ; ils ne s’accoudent jamais à la terrasse d’où l’on découvre un peu de pays, ils ne rêvent pas au bord du fleuve, ils n’errent pas dans les petites rues tortueuses, ils ne se font pas ouvrir la grille des beaux jardins. Ils passent ; c’est pour eux que Bædeker a écrit cet admirable titre de chapitre : Venise en quatre jours. » Ne les imitons pas ; faisons-nous ouvrir les grilles des beaux jardins et des villas palladiennes.

Le besoin d’avoir une maison de plaisance, si vif chez les Italiens, fut de tout temps particulièrement aigu chez les Vénitiens. Privés de campagne et presque de verdure, ils éprouvaient le désir de fuir les canaux et les petites rues dallées où