Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’art italien, le genre, la mise à la scène de la vie réelle. Jusqu’alors, la peinture n’avait été que religieuse ou historique ; elle descendait rarement à l’observation de la nature et des scènes familières. Le Bassan étudia avec soin « les animaux, le paysage, les objets inanimés, s’appliquant à exprimer fortement le caractère particulier de chaque bête et à rendre, sous leur aspect le plus vrai, les arbres, les fruits et les fleurs, les instrumens de labour et de jardinage, toutes les choses, enfin, dont se compose le mobilier d’une maison rustique, et même la batterie de cuisine. » Il essaya de pousser la vérité jusqu’à l’illusion et je ne sais plus où j’ai lu l’anecdote d’Annibal Carrache entrant dans sa chambre et avançant la main pour prendre un livre que Jacopo avait peint sur la table. Dans ses Meraviglie dell’ Arte, Ridolfi déclare qu’il ne manque à ses bêtes que la voix, « al bue che il mugire, alla pecora il bellare, al cavallo il nitrire, al leone il rugito… » Le Bassan chercha dans l’histoire et dans la Bible toutes les scènes où les animaux jouaient un rôle important : les Saisons, les Mois, les Nativité, les Adoration des Bergers, les Création, les Déluge abondent dans les églises et les musées d’Italie.

Parfait technicien, le Bassan fut un excellent professeur. Véronèse n’hésita pas à le choisir, parmi dix autres, pour lui confier l’éducation artistique de son fils Carletto. Il avait le don d’enseigner. De ses quatre enfans, il voulut faire quatre peintres. Mais deux ne purent s’élever au-dessus du rang de copistes et de simples aides d’atelier. Les deux autres ont laissé quelques œuvres qui ne sont pas sans mérite : Francesco, des tableaux de cérémonie ou d’histoire, notamment au palais ducal de Venise ; Leandro, des compositions religieuses et surtout de bons portraits, dont le meilleur, sobre et vigoureux, est celui du podestat Lorenzo Capello, que conserve le musée de Bassano.

Mais combien ces toiles sombres, sur lesquelles la couleur met comme un vernis opaque, sont pénibles à regarder ! Et quelle joie de retrouver la lumière ! Allons faire le tour des belles promenades qui encerclent la ville. Les échappées en sont magnifiques sur les contreforts des Alpes et la vallée de la Brenta. On a successivement sous les yeux les divers panoramas qu’on embrassait d’ensemble du balcon de la cure. Ces vues, déclare George Sand dans ses Lettres d’un voyageur, « sont une des meilleures fortunes qui puissent tomber à un