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couvert dont la seule histoire demanderait un chapitre. Parfois en pierre, le plus souvent en bois, soit emporté par le torrent, soit incendié, soit détruit par la guerre, il fallut, rien qu’au cours des cinq derniers siècles, le reconstruire plus de dix fois. Le pont actuel remplace celui qu’Eugène de Beauharnais brûla en 1813 ; ses piles gardent encore, encastrés dans leurs moellons, des boulets français. Moins long, mais plus large que celui de Pavie sur le Tessin, il a beaucoup de caractère, surtout quand on le regarde du lit de la rivière. Il complète le plus pittoresquement du monde le tableau que forme la cité, avec ses maisons et ses jardins étages dont les fondations descendent jusqu’au fleuve qui, parfois, les secoue un peu rudement. En haut, par-dessus les toits et les arbres, se dresse l’ancien château fort. Toute la colline se reflète dans l’eau pure que raie seulement le vol agile des hirondelles poursuivant d’invisibles insectes.

Comme à Pieve, on chercherait vainement, dans Bassano, des rues planes et droites. Toutes montent et tournent, s’enchevêtrent dans le plus amusant pêle-mêle. Quelques-unes sont comme suspendues au-dessus de la vallée. Des portails s’ouvrent sur la campagne, semblent encadrer l’horizon. Ce qui ajoute au charme de la ville, ce sont les petites places et les terrasses, avec de belles échappées, que les habitans surent réserver pour la joie des yeux. L’une des mieux situées est la Piazza del Terraglio d’où la légende prétend que Bonaparte arrêta son plan de bataille. Mais aucun panorama ne vaut celui que l’on découvre du célèbre balcone dell’ arciprete, dans la cure de la cathédrale qui occupe une partie des bâtimens de la vieille citadelle. La vue s’étend dans toutes les directions. Au Levant, les collines d’Asolo s’abaissent doucement vers la plaine : c’est au milieu d’elles, à Possagno, que naquit Canova ; un monument de marbre blanc, sur le modèle du Panthéon de Rome, renferme des œuvres, des copies et le corps périssable de celui que beaucoup ne craignirent pas d’égaler à Michel-Ange. Au Nord, derrière un premier plan de maisons et de beaux jardins, la vallée, parsemée de villas et de bourgs, est fermée par un amphithéâtre de montagnes laissant juste la place au fleuve. À gauche, les hauteurs bordent le plateau des Sept-Communes, cet étrange pays dont les habitans vécurent, peuplant des siècles, presque isolés du reste du monde, formant une