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Erbe flamboyant sous le soleil : étalages, tentes, vêtemens, fleurs, fruits, tout vibrait dans l’éclatante lumière. Deux places ont grande allure : la Piazza Campitello, vaste et spacieuse, rendez-vous des élégantes et des flâneurs, et la Piazza del Duomo où s’élèvent à la fois la cathédrale, le palais des Recteurs et le Municipe. Ce dernier édifice est moderne ; malgré son style gothique et ses murs d’un rouge un peu vif, il ne s’harmonise pas trop mal avec les deux autres monumens. Il est regrettable que la façade du Dôme, bâti sur les plans de Tullio Lombardo, soit restée inachevée. Quant au palais des Recteurs, — aujourd’hui la Préfecture, — c’est la construction la plus remarquable de Bellune ; commencé dès le début de la Renaissance, on l’attribue à Giovanni Candi, l’auteur du délicieux escalier tournant du palais Contarini dal Bavolo, à Venise ; l’ordonnance en est très jolie, avec des détails ravissans ; les balcons ont une élégance discrète ; tous les chapiteaux sont différens et bien ouvragés ; l’ensemble est tout à fait harmonieux.

Mais le charme de Bellune tient à sa merveilleuse situation à un coude de la Piave, sur une sorte de plateau d’où l’on commande la vallée. Le fleuve, jusque-là torrent impétueux, se ralentit pour enserrer la ville qu’il semble ne quitter qu’à regret ; on aperçoit, très loin, son mince ruban bleu, miroitant au soleil, presque perdu dans un blanc lit de galets. Deux chaînes de montagnes protègent Bellune et ferment ses horizons : au Nord, les Alpes Agordines aux beaux rochers nettement découpés ; au Sud’, les collines boisées et cultivées des Préalpes qui séparent la vallée de la Piave de la plaine trévisane.

Il serait étrange qu’une cité italienne de l’importance de Bellune n’ait pas un artiste local digne d’être mentionné. Dans cette Vénétie où la beauté fleurit si naturellement, où l’instinct décoratif est vraiment dans le sang, où le moindre bourgeois sait arranger sa demeure, l’orner de galeries ou de terrasses, où les paysans mêmes disposent harmonieusement leurs cultures en songeant à la perspective et à l’effet d’ensemble, Bellune ne saurait manquer à la règle. Ici, comme en Toscane ou en Ombrie, on trouverait peu de villages qui n’aient à la fois un aspect plaisant et une œuvre d’art à montrer. Que de peintres et de sculpteurs, qui, en d’autres pays, eussent laissé un nom glorieux, sont ici à peine connus des chercheurs et parfois