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à la marchande d’œufs que l’on voit au premier plan de la Présentation de l’Académie ; et, complétant le rapprochement, à côté d’elle, une fillette en robe bleue, avec une abondante tresse de cheveux dans le dos, a le profil de la petite Vierge qui monte l’escalier du Temple.

Vers Longarone, gros bourg avenant et gai, les montagnes s’abaissent et s’éloignent ; seul, le pic Gallina domine encore la plaine de son bec pointu dont les formes varient si étrangement à mesure qu’on avance. Puis, au Ponte nelI’Alpi, le chemin bifurque. À gauche, c’est l’ancienne voie d’Allemagne qui continue : après avoir longé le Bosco del Gran Consiglio, dont les arbres centenaires étaient réservés aux flottes de la République, et deux vastes étangs, celui de S. Croce d’un aspect riant, et le Lago Morto aux eaux immobiles d’un bleu très foncé, elle gagne directement Venise, par Vittorio et Trévise. La route qui se dirige à droite, est beaucoup moins intéressante. Elle allonge, entre des cultures toujours pareilles, son interminable ligne droite, sous un soleil de plomb qui fait trouver plus agréables encore les frais ombrages de Bellune.

D’un passé romain dont elle est pourtant fière, Bellune n’a gardé qu’un tombeau trouvé dans les fondations de l’église Saint-Étienne. Du moyen âge également, elle n’a que peu de souvenirs. C’est la domination vénitienne qui lui donna son aspect actuel. Partout le lion de Saint-Marc a posé sa griffe. Pendant près de quatre siècles, Bellune resta la serve fidèle de Venise. Puis, sur la limite des deux rivales, l’Autriche et l’Italie, elle subit les fluctuations du sort des armes. Mais, très ardemment patriote, elle fut toujours au premier rang contre l’Autriche et se donna, au moment du plébiscite, d’un vote presque unanime, au nouveau royaume de Savoie. La haine du drapeau jaune et noir, où flotte l’aigle impérial, est encore vivace au cœur des Bellunais.

De la ville elle-même, peu de choses à dire. C’est un chef-lieu de province, sans grand mouvement, une cité de fonctionnaires et de soldats. La meilleure partie de son activité lui vient de sa situation au débouché du Tyrol ; mais on a l’impression qu’elle n’est qu’une halte de touristes pressés. Les rues sont assez curieuses avec leurs maisons à arcades dont les façades coloriées et les fenêtres à colonnettes sculptées rappellent certains coins de Venise. J’ai vu l’étroit Mercato delle