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la grande voie qui continue, à droite, sur Bellune ; et, après quelques minutes de montée, on entre dans la ville de Titien.


III. — PIEVE DI CADORE

Comment est-elle autant délaissée des touristes, cette Pieve di Cadore si pittoresque et si curieuse ? À peine mentionnée par le Baedeker, qui lui consacre exactement quatre lignes, la plupart des voyageurs l’évitent et, à Tai, poursuivent leur chemin vers Venise dont l’approche les fascine déjà. Certes, l’hôtel y est médiocre et les richesses artistiques presque nulles ; mais peu de bourgs d’Italie peuvent se vanter d’une plus jolie situation. La ville est bâtie sur une sorte de coteau aux mamelons verts, tout fleuris de jardins, au milieu de pelouses et de bois. Pas un chemin, pas une rue qui ne monte et descende, tourne et retourne. L’unique petite place est elle-même en pente et de guingois ; c’est tout juste si l’on a pu trouver un étroit terre-plein pour y dresser la statue de Titien sur le plan du vieil hôtel de ville qui, lui aussi, est de travers par rapport aux édifices qui bordent la place. Ceux-ci, notamment les maisons Sampieri et Coletti, — que dans le pays on qualifie de palais, — ont gardé leurs antiques et simples façades. À Pieve, le modernisme n’a rien gâté. On trouve encore, dans quelques régions de l’Italie, des coins qui n’ont pas bougé depuis le XVe siècle, et dont les habitans conservent, comme dit Paul Bourget, un instinct de durer et de faire durer que l’exécrable manie d’être au courant ne détruira pas de sitôt.

Un peu en contre-bas de la place, sur la Piazetta dell’Arsenale, est la maison où naquit le plus illustre et le plus grand des peintres vénitiens. Nul paysage n’était mieux fait pour exercer et séduire l’œil de celui qui devait être le premier des paysagistes et le maître incontesté de la couleur. Bâtie sur des hauteurs qui se dressent, en pyramide, du fond d’une vallée qu’entourent de partout des collines et des pics, Pieve offre une incomparable variété de panoramas, où les plans se succèdent en tous sens et à des distances fort variées. Les jeux de lumière et d’ombre changent à chaque instant ; le regard peut facilement et librement s’habituer à en saisir toutes les fugitives nuances. Ah ! comme, chaque année, lorsque juillet torride faisait monter des canaux de Venise leurs miasmes de fièvre et leurs odeurs