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toute sa somptuosité. Il arrive même, par suite d’un phénomène inexpliqué, qu’une heure ou deux après le coucher du soleil, certains sommets deviennent subitement lumineux, d’un rouge cerise, comme de l’acier en fusion : rien n’est plus impressionnant que ces montagnes s’embrasant ainsi tout à coup dans la nuit.

Cette route des Dolomites, qui est fermée pendant les six mois d’hiver, et dont les Autrichiens, sous couleur d’alpinisme, ont essayé de dissimuler le but et l’importance stratégiques, est une merveille d’audace, de conception et d’exécution. Nulle part, d’ailleurs, le tourisme n’est mieux compris et mieux organisé que dans le Tyrol. Le caractère du pays a presque toujours été respecté : peu d’hôtels sur les sommets, de funiculaires, de cascades habilement entretenues ou de grottes éclairées artificiellement. En une journée, de puissantes automobiles franchissent les cent cinquante kilomètres qui séparent Bozen de Cortina. Elles se ruent véritablement à l’assaut des montagnes, grimpant sans prendre haleine les interminables lacets, traversant d’un même élan les forêts, les prairies, les ponts, les rares villages, rythmant le grand silence de leur halètement et s’arrêtant aux cols, épuisées de l’effort, mais joyeuses d’avoir vaincu. Il semble vraiment qu’elles éprouvent comme nous le vertige de la vitesse ; une sorte d’ivresse communicative nous fait régler sur leur mouvement les battemens mêmes de notre cœur.

Les grosses voitures, qui ne peuvent prendre encore la route du Karersee, descendent la vallée de l’Adige jusqu’à Auer, contournent le Latemar et rejoignent, à Vigo di Fassa, la voie directe de Bozen à Cortina. Après Canazei, que surplombent des cimes aiguës pareilles à des doigts géans menaçant le ciel, une série de lacets, au milieu de bois de conifères et de beaux pâturages, escaladent le val Fassa, entre les énormes rochers de la Sella et les flancs ravinés de la Marmolata, posée comme une souveraine au centre du massif qu’elle domine. Un minuscule lac, aux eaux d’un bleu intense, est si bien situé dans un cadre de sapins et de rochers qu’il semble avoir été créé de toutes pièces pour compléter le décor. Le col de Pordoi franchi, la route s’abaisse rapidement vers Arabba, dans la verte vallée du Cordevole naissant. C’est un coin d’idylle où les prairies, au printemps, sont toutes fleuries de lis, de