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suspecte, qui est un peu plus suspecte qu’une autre à M. le ministre. Cela se sent. Je ne crois pas solliciter les textes en le lui faisant dire. Il dira : « Je dirai volontiers que la culture littéraire n’est pas la culture générale. Elle est à sa manière une culture spéciale, une culture particulière. » Il dira encore avec un peu d’emportement, à quoi tout juste on peut reconnaître, non seulement sa pensée, mais son sentiment en cette affaire : « Rappelez vos souvenirs, vous verrez bien que vous avez eu des professeurs de latin qui n’ont laissé dans votre esprit aucune trace profonde… Ce que je veux dire, ce qui ne doit pas soulever de contestation, c’est qu’on peut être professeur de latin et de grec et être un cuistre, un homme qui ne laisse dans la mémoire et dans le cœur des enfans, aucun souvenir, tandis que tel professeur d’histoire, tel professeur de physique ou de sciences naturelles nous a fait réfléchir et penser… »

Très évidemment M. le ministre de l’Instruction publique désirerait un enseignement où la culture, où la formation fût réservée à la science (science historique, ou sciences proprement dites) et où la lecture et la méditation des auteurs grecs, latins, français, ne fût qu’arts d’agrément. C’est un système. Je le crois faux, j’ai peur qu’il ne soit faux et dangereux. Je crois qu’à des enfans, c’est la lecture des penseurs (des penseurs qu’ils peuvent comprendre) qui convient ; et que c’est cela même qui leur fait l’esprit juste, sain, droit et souple. J’ai vraiment peur de cette nouvelle orientation.

Mêmes idées au fond, quoique présentées avec plus de ménagemens et de séduction, chez M. Ribot : il ne faut plus réduire l’enseignement secondaire aux humanités ; il faut que l’enseignement secondaire soit de plus en plus compliqué. Il ne faut plus réduire, ramener l’enseignement secondaire aux humanités : « Non, monsieur de Lamarzelle, nous ne pouvons pas revenir, quoi que vous en ayez, et nous ne reviendrons pas, quoi que vous fassiez, à cette conception qui a pu suffire à nos ancêtres qui s’est traduite dans l’enseignement des Jésuites et qui se ramenait, en deux mots, à ceci : apprendre du latin, parler en latin, faire des discours latins, apprendre quelques élémens de mathématiques et devenir ainsi un honnête homme, c’est-à-dire un homme ayant le goût des élégances et pouvant faire figure dans le monde… »