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vue de la sensation et d’une certaine conscience psychologique, vulgaire et superficielle. Mais si on va plus au fond, comme ont su le faire W. James et surtout M. Bergson, on découvre l’unité vivante et durable. Le point de vue du sage comme celui du moraliste ne saurait être différent de celui de ces psychologues. La moralité consiste à adhérer pleinement aux lois qui concentrent, subliment la vie et la situent au-dessus de l’écoulement des temps successifs. Par son essentiel vouloir, le sage situe sa volonté dans l’éternel. Et de ce point de vue la plupart des discussions sur les sanctions ne paraissent guère que comme des arguties de sophistes ou des bavardages de rhéteurs.

Il est possible d’ailleurs que cette sagesse suprême ne constitue qu’un idéal de perfection dont on ne fait que se rapprocher sans l’atteindre, que l’apparence superficielle soit si obsédante que la plupart des esprits aient bien de la peine à ne pas regarder leur vie comme composée de parties distinctes. L’image du cours successif et morcelé de la vie, bien qu’illégitime, est envahissante et explique comment la question des sanctions futures se pose. Or, il faut ici remarquer qu’en dehors du christianisme, les penseurs contemporains paraissent très embarrassés pour la résoudre. La plupart reconnaissent que la justice future doit être, mais où ? mais comment ? mais quand ? La vie vécue et constatée par l’histoire ne paraît pas aujourd’hui plus juste qu’elle n’était du temps de Platon, et l’on pourrait reprendre les appels que dans le Gorgias et dans le Phédon Socrate adressait à la justice des dieux. Mais cet appel à des sanctions futures qui, pour se réaliser dans ces pays d’outre-mort dont nul jamais n’est revenu, auraient besoin de l’immortalité de l’âme, s’il paraît encore familier non seulement aux chrétiens, mais au petit nombre de penseurs qui se rattachent à la tradition spiritualiste, se transforme sous la plume de tous les autres en allusions vagues, en espérances imprécises. Autant la philosophie de l’école de Cousin paraissait affirmative et abondait même en déclamations sur l’immortalité, autant aujourd’hui les philosophes se montrent sur ce point timides et réservés. Il serait sans doute aussi peu convenable qu’impertinent d’attribuer ces hésitations à la crainte qu’inspireraient les railleries ou les menées de quelques bruyans sectaires. Il est plus séant d’en faire honneur aux timidités bien naturelles de