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tout à fait semblables à ce qu’ont été les sources de nos actes dans notre vouloir. Telle est l’origine profonde des doctrines morales sur les sanctions. Il se peut que tout d’abord les moralistes aient calqué leurs expressions sur l’usage social des récompenses et des punitions et que ce décalque ait altéré l’exacte signification des sanctions morales. Mais il n’est pas douteux que en retour, même dans l’usage social des récompenses et des punitions, il ne soit entré aussi des idées de rétribution et de justice empruntées à la morale. Ici encore la confusion du moral et du social a porté également tort à l’exactitude des notions purement morales aussi bien qu’à la rectitude de la pratique sociale ; les législateurs et les juges se sont acharnés à la recherche d’une justice impossible, et les moralistes ont abaissé les sanctions morales à n’être plus guère que des secousses de la sensibilité distinctes de la loi et parfois même tout à fait arbitraires et extérieures. Mais loin de séparer les sanctions de la loi et de les considérer tantôt comme des fins que la loi doit procurer, tantôt comme des moyens au service de la loi, il faut au contraire reconnaître que les sanctions constituent une partie intégrante, nécessaire de la loi. Ne pouvant s’en détacher, la sanction n’est donc ni arbitraire, ni capricieuse, elle n’est ni une vengeance odieuse, ni un don tout gratuit ; vouloir la supprimer ou la négliger serait altérer la loi. Bossuet le disait excellemment : « On n’a pas besoin, pour être parfait, de séparer dans sa pensée deux choses qui sont unies. »

Ainsi s’évanouissent les critiques par lesquelles Guyau, par exemple, ou M. Séailles ont voulu exorciser de la morale l’idée de sanction. Et l’objection qui troublait Kant s’évanouit tout de même. Car la sanction ainsi entendue ne peut plus être regardée par l’agent moral comme un but au détriment de la pureté de la loi. Il n’est plus possible de penser qu’on accomplit une action comme un esclave ou un mercenaire, uniquement pour éviter une punition ou obtenir une récompense. La vie ne peut plus être idéalement morcelée de telle façon que l’une de ses tranches ou de ses parties puisse être considérée comme sans valeur et uniquement employée à assurer la venue d’une autre tranche future. Le, présent vaut le futur, car ils sont inséparables. La succession de nos actes et de nos états, l’oubli qui en est la condition nous font apparaître notre vie comme ainsi divisée et morcelée. C’est le point de