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seul christianisme véritable est celui qui a pris vie et dont la vie a duré. Or, la doctrine morale de ce christianisme vécu est très différente de cette doctrine de l’anéantissement qui a excité l’horreur des modernes. Quelles que soient les expressions dont se servent les auteurs, le fond des idées n’est pas contestable. La vie présente, bien que sa valeur intrinsèque puisse être regardée comme nulle au prix de la vie future, a cependant une valeur relative. Elle est un moyen pour la vie éternelle, moyen nécessaire, qu’on ne peut ni omettre, ni négliger, et aux conditions duquel il faut se soumettre pour atteindre la fin suprême. Voilà pourquoi très simplement le chrétien n’a pas le droit de se suicider, pourquoi il doit vivre sa vie terrestre, et la vivre selon les lois mêmes de cette vie, c’est-à-dire pleinement, intégralement. La mortification même la plus ascétique n’a pas pour but d’éteindre les forces de vie, mais de canaliser et de diriger en haut ce qui courrait risque de se déverser et de se dissiper en bas. Le christianisme a moins renversé les valeurs reconnues par les moralistes anciens qu’il ne les a redressées et ramenées à leur juste prix. De saint Ambroise à saint Thomas d’Aquin, toute la théologie morale n’a eu pour but que de faire entrer les valeurs antiques dans le cadre des valeurs chrétiennes. Ce n’est pas la vie que saint Paul a condamnée, mais l’orgueil, la superbe de la vie, c’est-à-dire l’estime déréglée de biens précaires et passagers, d’une vie que l’on ne peut retenir, semblable à une eau qui fuit dans les doigts. Le chrétien finit donc par dire qu’il faut vivre selon les lois de la vie ; les préceptes de sa morale, comme de celle de tous les autres, devront être conformes à ces lois mêmes ; il devra vivre selon ces préceptes pour être moral et il ne peut atteindre au but surnaturel qu’il vise si d’abord il n’est pas naturellement moral. Avant de revêtir la robe de fête qui permet l’accès du festin des noces, le convive doit avoir passé par l’eau pure des fontaines où tous viennent chercher la netteté naturelle. Et la source de cette eau vive, c’est la vérité scientifique.

C’est cette dépendance où se trouve la morale vis-à-vis des lois naturelles de la vie découvertes par la science et prescrites par la raison qui donne son vrai sens à ce que Kant appelle l’autonomie de la volonté. J’écris avec dessein le mot : dépendance, bien qu’en général on regarde la reconnaissance de l’autonomie comme une proclamation d’indépendance. Qu’est-ce en