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VII

D’ailleurs, — et c’est encore un point sur lequel l’unanimité paraît s’être faite, — si la moralité ne consiste en définitive qu’à vivre de la vie la plus riche, la plus intense, la plus rayonnante, c’est-à-dire de la vie la plus haute et la meilleure, tous les moralistes devront être d’accord pour reconnaître que c’est à la science, et à la science seule, qu’il appartient de déterminer quelles sont les conditions de la vie meilleure : on peut découvrir les lois générales de la conduite humaine, et il peut y avoir une science de la conduite. Se bien conduire, c’est bien vivre, et bien vivre, c’est vivre selon les lois de la vie. Or, de même qu’il appartient à la science biologique de découvrir les lois de la vie physique, de même sans doute il doit appartenir à la science sociologique de découvrir les lois de la vie sociale et à la science psychologique de découvrir les lois de la vie psychique. On sait distinguer, en physiologie, l’état de santé de l’état de maladie, pourquoi ne pourrait-on pas aussi bien distinguer l’état morbide de l’état sain dans les autres vies, sociale et psychique, dont se compose une vie humaine ?

Sans doute M. Boutroux a pu dire avec raison : « La science ne peut rien nous prescrire, pas même de cultiver la science. » Et M. Henri Poincaré écrivait récemment que la science ne peut, à elle seule, constituer une morale. Car la morale se fonde sur des jugemens de valeur et la science nous dit seulement ce que sont les choses, comment elles sont, mais non pas ce qu’elles valent. Il n’en est pas moins incontestable que la science peut nous fournir les moyens de produire les valeurs, de réaliser les choses qui valent. Et s’il est vrai, en un sens, de dire avec M. Poincaré que la science ne peut rien prescrire, qu’elle n’est capable que de constater ou, comme il s’exprime, que la science ne peut nous donner que des indicatifs, tout au plus des optatifs, mais non des impératifs, on est en droit d’ajouter qu’en effet la science est impuissante à nous proposer des fins, ainsi que l’a proclamé M. Lévy-Brühl, — et M. Albert Bayet a abondamment analysé cette idée, — mais que la vie nous force à nous en préoccuper. Or, dès que les fins sont posées, c’est à la science que nous devons recourir pour savoir quels sont les moyens qui peuvent les réaliser. Ce