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toute sa valeur même pour un Robinson. Et il faut dire au contraire que le moral consiste tout entier dans une disposition intérieure à reconnaître la loi, à nous y soumettre et à l’accomplir. Tant que dure une telle disposition, tant que nous nous efforçons en conséquence, nous sommes moraux, alors même que, par suite d’une erreur involontaire, nos actes feraient du mal ; dès que nous cessons de considérer la loi, nos actes, quels qu’ils soient, deviennent moralement indifférens ; et ils deviennent immoraux, quelles que puissent en être les suites, fussent-elles même socialement bienfaisantes, si en les faisant nous voulons de propos délibéré nous soustraire à la loi ou nous insurger contre elle.

Ce n’est, semble-t-il, qu’à la condition de soigneusement distinguer le moral et le social que l’on pourra reconnaître ce qu’il y a de juste dans les observations des sociologues contemporains, sans se croire pour cela obligé de renier les doctrines de l’intention morale qui, des stoïciens à Kant, du Décalogue et de l’Evangile à Luther, à Ignace de Loyola et à Emerson, ont réussi à conquérir, à travers tant d’autres divergences doctrinales, l’assentiment des plus hautes consciences humaines.


VI

Que pourrait être d’ailleurs une morale d’où serait bannie toute préoccupation des fins ? Seul peut-être parmi tous les écrivains qui nous ont parlé des mœurs, M. Lévy-Brühl voudrait en faire complète abstraction, parce que, seul aussi et très rigoureusement, il condamne toute morale théorique et prétend arriver à formuler des lois sans pour cela édicter aucun précepte. M. Durkheim est moins rigoureux et avoue ses préoccupations pratiques. Or, de toute manière, dès qu’on a de semblables préoccupations, on reconnaît que la morale a des fins, que les préceptes ont pour but de réaliser ces fins, et ces fins, quelles qu’elles soient, par cela seul qu’elles sont proposées et recherchées, apparaissent comme bonnes. Le bien aujourd’hui, comme du temps de Cousin, paraît ainsi, d’un accord presque unanime, reconnu comme le but à la fois et le principe de la morale. Et ce bien n’est pas un bien vague, à peu près inexistant, parce que non ressenti, c’est la vie plus haute et meilleure, le bien-être, le bonheur. Les articles de Victor Brochard semblent