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rencontra le quartier-maître général Massenbach. « Où puis-je être utile ? dit Ruchel. — À présent, seulement par Kapellendorf. » Ruchel continua sa marche, dépassa Kapellendorf, et au lieu de prendre position pour opposer pendant un temps plus ou moins long aux Français une digue de feux et de baïonnette, à l’abri de quoi les Prussiens en fuite pourraient se rallier, il s’avisa qu’une offensive résolue et vigoureuse aurait meilleur résultat. Il avait 26 bataillons et 28 escadrons. Il en laissa le quart en réserve, fit déployer le gros, l’infanterie au centre, la cavalerie aux deux ailes et commanda l’attaque. Malgré la fusillade des tirailleurs et la mitraille de quelques pièces de canon qui garnissaient les crêtes, les fantassins prussiens gravirent les hautes rampes de Gross-Romstedt dans un ordre admirable, au pas de parade, comme indifférons à la mort ; les premières crêtes atteintes, ils prirent quelques pièces et refoulèrent jusqu’au-delà de Gross-Romstedt, dont ils s’emparèrent, les nombreux tirailleurs de Lannes. La cavalerie prussienne de l’aile gauche, qui avait en même temps atterri sur le plateau, s’engagea contre les 1er et 2e dragons de la réserve de cavalerie et trois régimens de hussards et de chasseurs de Soult, les repoussa et ne fut arrêtée que par les baïonnettes de la division Saint-Hilaire. « Ce choc, dit le rapport de Soult, fut certainement un des plus violens de la journée. »

Cet effort, désespéré et superbe, de la défaite contre la victoire ne pouvait avoir d’autre résultat que de sauver l’honneur de l’armée prussienne. Sur le plateau, les vaillans soldats de Ruchel sont débordés, cernés, assaillis, submergés par toutes les forces françaises. De front, c’est Lannes, et partie du corps de Ney, à leur gauche, c’est Soult, avec son infanterie, sa cavalerie et les dragons de Klein ; à leur droite, ce sont des régimens de Ney et d’Augereau, les hussards et chasseurs des 5e, 6e et 7e corps, la deuxième brigade des dragons de Klein et 1 000 cuirassiers d’Hautpoul à la tête desquels charge Murat, heureux de pouvoir enfin déchaîner l’ouragan de la cavalerie. La lutte s’engage sur tous les points, si acharnée que l’on vit des hommes s’entre-tuer de pied ferme à la baïonnette. Ruchel tombe grièvement blessé d’une balle à la poitrine. En moins d’une demi-heure, toute la masse prussienne se rompt, s’écroule, et les débris roulent en avalanche dans le ravin de Kapellendorf.