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comporter de manière à attirer sur l’État de Votre Altesse Royale les plus grands des malheurs.

« Le ministre de la République a été insulté deux fois de suite à Lisbonne et sa sûreté y est journellement compromise, conduite qu’on cache à Votre Altesse Royale, et dont je suis obligé de me ressentir. Soixante-huit Français, débarqués en Portugal, au lieu d’être accueillis comme devraient l’être des Français, ont été jetés en prison et traités avec la plus grande barbarie.

« Votre Altesse Royale ne pense pas que je puisse rester spectateur indifférent de tant d’insultes réitérées. Si elle veut que je regarde le Portugal comme ami, elle chassera de son Cabinet tous ces hommes dominés par l’influence anglaise, et s’entourera de véritables Portugais, animés de l’esprit de neutralité ; elle fera un exemple sévère du commandant qui a osé attenter à l’amitié qui unit les deux nations. Certes, le peuple français n’a jamais souffert d’insultes.

« J’attends la réponse de Votre Altesse Royale. J’espère qu’Elle me convaincra que j’ai affaire au gouvernement portugais et non à des ministres dominés et asservis par le gouvernement anglais. »

La lettre de Bonaparte et la note forte de Talleyrand à Souza sont parvenues probablement à Lisbonne vers le 21 ou 22 août ; les dates concordent bien, puisque la disgrâce d’Almeida est du 23 ; c’est la lecture de ces documens qui a décidé le Régent, déjà très ébranlé par les instances de Lannes et très effrayé par la tentative de coup d’État militaire.

Le lendemain même du jour où paraissait le décret nommant Almeida ambassadeur à Vienne, Lannes était reçu à Queluz par le Régent. En entrant au palais, il aperçut son collègue Fitz-Gerald qui s’éclipsa en le voyant. Le Prince le reçut très longuement, poussant les témoignages de sa confiance et de son estime aussi loin que pouvait le désirer son interlocuteur, assurant que Souza ne tendrait plus qu’à une étroite union avec la France.

Le duc de Sussex lui-même faisait dire à Lannes par un tiers qu’il était plein d’estime pour lui, et qu’il voyait avec peine le général ne pas chercher à répondre aux saluts « qu’il affectait de vouloir bien lui faire en public. » Lannes, plein de joie et d’orgueil, pouvait écrire, en terminant sa dépêche : « Heureux, dans la carrière où je me trouve, d’avoir rencontré l’occasion