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complète, que vous la regardiez comme telle ; le Premier Consul croit qu’il sera utile d’avoir favorablement disposé ce gouvernement en lui montrant de la considération. Du reste dans le moment vous n’avez aucune demande à lui faire. »

Et, quelques jours après, nouvelle dépêche de Talleyrand qui suspend nettement toute action. « Le Premier Consul n’a pas encore pris de détermination à l’égard du Portugal : il vous recommande de vous borner aux soins de l’observer, il veut, pour le moment, le laisser dans cet état d’attente qui permet mieux de pénétrer ses vues et d’apprécier ses moyens. Il désire enfin que vous ne fassiez aucune démarche et ne disiez rien qui ait pour but soit de l’inquiéter, soit de le rassurer. »

Disposer favorablement le Portugal par une attitude de modération, — ne pas lui adresser de demandes, — estimer qu’une satisfaction est complète du moment qu’on la considère comme telle, quelles instructions pour un soldat habitué à tout emporter par la force ! Sur l’âme bouillante de Lannes, ces conseils glacés produisent, en tombant, le même effet que l’eau froide sur le fer rouge. L’indignation du général fuse en phrases sifflantes lorsqu’il rappelle à Talleyrand qu’on l’a chargé de réclamer la fermeture des ports lusitaniens aux vaisseaux anglais, lorsqu’il déclare qu’il lui est impossible de supporter la présence de Coigny, ni celle de l’état-major anglo-émigré, ni les vexations accumulées contre nos compatriotes, ni l’inexécution des traités. De telles instructions, lorsque le Portugal est au moment de se jeter dans les bras de l’Angleterre, lorsque les frégates anglaises croisent à l’embouchure du Tage, lorsque, sur les côtes mêmes du Royaume, la frégate française l’Embuscade, partie de Saint-Domingue pour Rochefort, en pleine sécurité, est prise avec deux bâtimens de commerce par le vaisseau anglais le Victory ! Nous avons déjà vu le nom de Nelson apparaître ; voici luire, comme dans l’éclair d’un coup de canon, celui du bâtiment sur lequel il devait bientôt après, à Trafalgar, vaincre la flotte de Napoléon et périr lui-même dans son triomphe.

À Lisbonne même, les Anglais continuent à ne rien négliger pour s’assurer le concours du Portugal. Ce n’est pas assez du duc de Sussex ; un autre fils du roi George, le duc de Kent, est arrivé de Gibraltar. Tous deux sont sans cesse à Queluz. Sussex « affecte de se montrer souvent en public et avec un