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Nous avons vu qu’une escadre anglaise était sur rade ; il s’y trouvait aussi une escadre hollandaise, et Lannes ne se demandait pas sans inquiétude si, au cas d’une déclaration de guerre, l’escadre anglaise ne tenterait pas, soit par force, soit par secrète connivence, de prendre les vaisseaux hollandais en un coup de filet. L’amiral de Winter, qui les commandait, était au-dessus de tout soupçon par sa loyauté et sa bravoure bien connues, mais il n’en était pas de même du ministre batave van Grasveld qui ne fréquentait que les Anglais et ne voyait que par eux. Lannes surveille donc attentivement et l’escadre dont il aurait voulu presser le départ, et son collègue. Il insiste si bien, tant auprès de l’amiral que de van Grasveld, — car les hostilités passent pour avoir été déjà engagées — qu’il obtient enfin gain de cause : le 19 germinal, les deux vaisseaux de ligne, la frégate et les brigantins composant l’escadre appareillent pour la France ou pour l’Espagne, selon que tel ou tel vent leur sera favorable. C’est une belle proie qui échappe aux Anglais.

Dans le terrible conflit qui se préparait, le Portugal hésitait toujours, sans arriver à prendre parti. Pour amadouer le Premier Consul, le Régent a enlevé à Pina Manique l’administration des Douanes, en lui conservant toutefois l’intendance générale de la Police, et en lui donnant en revanche le titre de Grand Chancelier. Dans un nouvel entretien avec le Prince, Lannes ne réussit pas à lui arracher cette fermeture aux vaisseaux anglais des ports lusitaniens, à laquelle le Premier Consul attache tant d’importance. Don Joaö « promet tout, » et pourtant les conférences avec lui n’ont jamais de résultat.

Pendant ce temps, son ministre à Paris, Souza, se répand en plaintes auprès de Talleyrand contre Lannes. Il ose même l’accuser d’avoir fait demander par l’entremise d’un ministre étranger deux millions de livres au gouvernement portugais en déclarant que le repos ou la ruine du Portugal dépendait de l’acceptation ou du refus de cette proposition. Moyennant cette somme, il aurait promis de faire restituer au Portugal Olivença, que l’Espagne lui avait enlevée par le traité de Badajoz, de renoncer à toutes les demandes qu’il avait formulées et de reprendre la correspondance avec le Cabinet de Lisbonne. En cas de refus, il aurait été déterminé à déclarer au Premier Consul qu’il avait été reçu à son retour avec des procédés insultans, et qu’il existait dans le gouvernement un esprit hostile à la