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hautes classes que le village et à peine moins directement. Je pensais que c’était là l’ordre universel. Je m’imaginais Londres comme une ville de province plus grande où les gens de distinction avaient leur maison de ville et faisaient en grand leurs achats dans l’ombre magnifique de la plus grande de toutes les belles dames nobles, la Reine. Cela semblait être dans l’ordre divin. Que toute cette belle apparence fût déjà sapée, qu’il y eût des forces à l’œuvre capables, à l’heure présente, de détruire ce système, c’est là une idée qui ne s’était pas encore levée sur moi… Il y a nombre de gens aujourd’hui en Angleterre sur qui elle ne s’est pas encore levée[1].


Ainsi c’est pour la classe des gens de « qualité, » c’est par elle ou par son intermédiaire que respire et vit tout le reste, en état de subordination et de tolérance. Bladesover apparaît dès lors au héros du livre comme « la clef d’une explication de l’Angleterre[2], » comme « le fil nécessaire à l’intelligence de presque tout ce qui est distinctivement britannique et déconcertant pour l’étranger qui étudie l’Angleterre et les peuples de langue anglaise. »


Attachez-vous avec force à ce fait que l’Angleterre était un vaste Bladesover il y a deux cents ans ; qu’il y a eu des Lois de Réforme, il est vrai, et autres changemens du même genre dans les formules, mais aucune révolution essentielle depuis lors ; que tout ce qui est moderne et différent y est venu comme une intrusion ou s’est posé comme un apprêt sur le caractère dominateur, soit d’une manière impertinente, soit timidement et avec des excuses, et vous vous rendrez compte qu’il y a quelque chose de raisonnable, de nécessaire, dans cette sottise orgueilleuse, ce « snobisme, » ; qui est la qualité distinctive de la pensée anglaise[3].


Envisagée dans sa relation et son antithèse avec le château, vous pourrez comprendre la petite ville de Chatham. Il y a correspondance entre les effets : Chatham est le corollaire de Bladesover. D’un côté, l’air et les grands espaces, l’ampleur et la dignité, puis, pressés et rencognés, le village, l’église et la cure, avec leur signification secondaire et leur condition dépendante ; de l’autre, tout ce qui ne se rattache pas aux différens Bladesovers de la région, tout ce qui n’est pas braves gens de tenanciers ou de journaliers, église d’Angleterre, soumission et respect : un rebut entassé loin des regards et qui pourrit là comme il peut dans sa boîte à ordures.

  1. Tono Bungay, édition anglaise, p. 11. Ce roman n’est pas encore traduit en français.
  2. P. 51.
  3. P. 17-18.