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encore aux côtés du laboureur. » Mais M. Wells ne veut point voir que la charrue est un bienfait : il lui suffit de constater qu’elle va bien lentement, traînée par des chevaux ou par des bœufs. Lui faites-vous remarquer que la vapeur la transforme ? Il vous répondra que la nouvelle machine mène un bruit infernal et crache une horrible fumée. Sans doute, nous l’aimerions électrique, propre et silencieuse. Et ainsi de tout le reste. Cela viendra. En attendant, M. Wells s’impatiente. Son esprit hardi, dédaigneux, simplificateur, regarde droit devant lui, dans l’avenir que pourrait réaliser la science tout de suite, si le monde était un vaste atelier d’ingénieurs occupés à dresser des épures et forts de toute l’autorité nécessaire pour les faire exécuter par des gens qui d’ailleurs ne demanderaient pas autre chose, trop heureux de servir de si beaux desseins.

Le monde n’est pas tout à fait cela ; et l’Angleterre en particulier est fort loin de cet idéal. Nous ne nous étonnerons donc point des sévérités que va lui témoigner M. Wells.


III

Il nous offre dans un de ses derniers romans, Tono Bungay[1], le tableau de la société anglaise, tel qu’il se révèle, de loin d’abord, puis de plus près, à un jeune homme du peuple que « le roman du commerce moderne » met en mesure d’observer « les hautes sphères » après les avoir, d’en bas, respectueusement contemplées.

Enfant, George Ponderevo est placé de manière à embrasser d’une vue panoramique le « système, » « le système Bladesover, » comme il l’appelle, du nom du premier spécimen qui se présente à ses yeux. Sa mère est femme de charge au château de Bladesover, centre, principe et fin du petit univers auquel appartient le jeune garçon.


La vaste demeure, l’église, le village, et les ouvriers et la diversité et la hiérarchie des serviteurs, me semblaient être un système social clos et fermé. Autour de nous il y avait d’autres villages et grands domaines, et d’une résidence à l’autre, en relations et corrélations, les hautes classes, les beaux olympiens, allaient et venaient. Les petites villes semblaient de simples collections de boutiques, des marchés pour les tenanciers, des centres d’éducation à leur usage : elles ne dépendent pas moins des

  1. On trouvera une admirable analyse commentée de ce livre dans les Nouvelles études anglaises de M. André Chevrillon (1 vol., Hachette, 1910).