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tradition, des habitudes, des liens légaux et de cette servitude plus subtile qu’implique toute possession, » en d’autres termes, sur le communisme consécutif à une radicale transformation de la nature humaine ; et pour nous exposer, dans ses grandes lignes du moins, la Vie Nouvelle, il a imaginé la fiction ou plus justement peut-être, le symbole des « Brouillards verts[1]. » Une comète rencontre la terre qui se trouve plongée pendant quelques heures dans un sommeil enchanté et une aube merveilleuse, après quoi, c’est le « Réveil » et le « Changement. » La terre a été recréée, les « Temps nouveaux » commencent et « l’humanité se met en devoir de refaire le monde. » N’avais-je pas raison de dire que M. Wells n’a point l’esprit des réformateurs ? Dans son rêve utopique, leur point de vue est renversé, car tandis que le problème véritable est de trouver et de réaliser les réformes qui seraient les moyens du perfectionnement, celles qu’il imagine dans le monde renouvelé n’y sont que la conséquence de ses perfections. C’est bien encore le vieux monde, « mais les souillures de la vieille vie en étaient retranchées. » Et après la purification spirituelle viennent les grands nettoyages matériels, les « dix grandes crémations de décombres et de rebuts, qui inaugurèrent l’âge nouveau. » On brûle « toutes les habitations, tous les édifices du vieux temps… Construits à la hâte, sans imagination, sans beauté, sans honnêteté, sans confort approprié, » ou plutôt, car on ne peut porter les maisons mêmes sur les bûchers, on y jette « les portes mal jointes, les affreuses croisées, les escaliers, terreur des domestiques, les placards humides et noirs, les papiers de tentures infestés de vermine et arrachés aux murs écaillés, les tapis imprégnés de poussière et de boue…, les vieux livres saturés de poussière, les ornemens sales, pourris et pénibles à regarder, parmi lesquels on trouvait, je me souviens, des oiseaux morts empaillés. » On brûle les meubles, « hors quelques milliers de pièces d’une beauté remarquable et réelle, desquelles nous tirâmes les modèles que nous avons créés depuis, » les horribles vêtemens, feutrés et poreux, « admirablement conçus pour recueillir et accumuler toutes les malpropretés ambiantes, » les étonnantes gaines de cuir ou d’imitation de cuir qui servaient naguère à comprimer douloureusement les pieds. On se débarrasse de

  1. Au temps de la Comète.