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Le monde alors pourra se simplifier, s’ordonner et réaliser dans toute son ampleur la perfection rationnelle. Les villes « nées du hasard » ont disparu pour céder la place à d’autres, « édifiées avec amour par la main des hommes vivans : »


Et ces créatures qu’elles happaient, qu’elles estropiaient et mutilaient parmi leurs labyrinthes, dans leur désarroi, leur chaos, leur machinisme industriel immense, inhumain et mal conçu, s’en sont échappées vers la vie… Et par tous les chemins de la terre s’en vont nos enfans, nos fils, dont l’ancien monde eût fait des commis serviles et des boutiquiers, des gars de charrue et des hommes de peine ; nos filles, jadis anémiées par des labeurs asservissans, réduites à la prostitution, à l’infamie, ployées sous des maternités angoissantes, ou desséchées par les regrets d’une vie stérile. Ils vont, nos enfans, sur les chemins de ce monde, actifs, heureux, pleins de joie, vaillans et libres… Qui trouvera des mots pour dire la plénitude et le charme de la vie ?…


Il n’importe point de chercher ici par quels moyens la science accomplira tant de merveilles. Encore que le désordre et le mal ne semblent point avoir diminué avec ses progrès, accordons pourtant qu’elle puisse transformer les conditions matérielles de la vie et que, de cette transformation, jaillisse enfin une source de bonheur : M. Wells s’imagine-t-il donc que le problème de la destinée humaine serait résolu ? Sa reconstruction idéale est un rêve de savant, et la science ne rend pas les hommes meilleurs : elle n’a jamais fait briller sur la terre une lueur de bonne volonté. L’amour peut guider le savant, inspirer ses recherches, soutenir son courage : l’amour peut être le principe de la science ; mais la science ne deviendra jamais le principe de l’amour. La bonne volonté est une disposition profonde de l’âme ; elle n’a nul rapport aux faits, à leur mesure, à leurs lois ; elle ne peut naître que de l’amour. « Le monde est le monde, non pas une institution charitable, » dit M. Wells. C’est à la charité pourtant. qu’il appartient d’agir sur les cœurs, d’inspirer les sentimens et la conduite. Il suffirait à la science d’améliorer, de transformer le monde matériel, le monde des forces naturelles et du mécanisme : à côté et au-dessus d’elle doit régner sur le monde des âmes la bonne volonté qui seule peut faire servir ces forces et ce mécanisme aux fins les meilleures.

Là est le principe du progrès moral, là est la source de l’action la plus haute, là est le secret de la destinée humaine. M. Wells attache bien trop d’importance aux réformes matérielles, à l’organisation de la vie physique. La forme de nos