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bonheur individuel, voilà le but ; l’organisation scientifique de la planète, voilà le moyen.

« Ce gâchis est vraiment trop pourri pour qu’on le manipule — dit quelque part M. Wells[1]. — Nous reprenons sur nouveaux frais. Faisons d’abord table rase… et recommençons. » Recommençons sur un plan rationnel : tout est là. S’il n’y a rien à faire du gâchis actuel, c’est précisément parce qu’il est irrationnel. La vie d’aujourd’hui n’est pas organisée ; elle s’est développée au hasard, empiriquement. Cela se voit partout, dans l’ensemble et dans le détail. Considérez, à votre choix, un des aspects familiers de notre monde, ce paysage de ville, par exemple :


Il était évident que toutes ces choses avaient été accolées au hasard, sans souci des commodités voisines : la fumée des hautes cheminées salissait la terre blanche des potiers ; le tintamarre des trains assourdissait les fidèles dans leurs sanctuaires ; les cabarets versaient leur corruption au seuil même des écoles, et les tristes demeures s’écrasaient misérablement au milieu de ces monstruosités de l’industrialisme, comme si une imbécillité tâtonnante avait présidé à toute cette incohérence. L’humanité s’étouffait sous ses propres produits, et ses énergies aboutissaient au désordre, comme un être frappé de cécité se débattrait dans une fondrière en s’enlizant par son propre effort.


Hasard, tâtonnement, incohérence, désordre, voilà les mots qui reviennent le plus souvent sous la plume de M. Wells et voilà de quoi il est obsédé. La vie n’a de valeur pour lui que par la logique, la méthode, la coordination et l’harmonie. Il se complaît à tracer des esquisses d’un monde plus rationnel. Quelques-uns de ses livres, — Anticipations, Une utopie moderne, La Découverte de l’avenir, — n’ont pas d’autre dessein ni d’autre intérêt. Il envisage avec allégresse un « avenir spacieux » où je ne sais quelle « République nouvelle » aura établi « un État mondial avec une langue et une loi communes. »


Elle étendra sur toute la surface du globe ses routes, son appareil de valeurs et de mesures unifiées, ses lois, son système de contrôle… Elle ne tolérera aucun de ces coins sombres où la population de l’abime grouille et se corrompt, aucun de ces bas-fonds vastes et diffus de paysans-propriétaires, aucune stagnation pestilentielle. Elle admettra au nombre de ses citoyens tous les hommes capables, quels qu’ils soient, blancs, noirs, rouges ou jaunes : la seule condition sera de prouver des capacités[2].

  1. Au temps de la Comète, trad. fr., p. 304.
  2. Anticipations, trad. fr., p. 360.