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plus vastes de ce qui peut être[1]. » C’est l’idéale région où se donne librement carrière la vertu des « principes. » Un des derniers contes de Rudyard Kypling[2] nous montre des insectes étrangers qui s’introduisent dans la sage cité des abeilles et y déposent des germes mortels qu’ils appellent des « principes. » L’auteur des Anticipations, de la Découverte de l’avenir, d’Une utopie moderne, ne redoute point ces germes dangereux : il les répand à pleines mains, il les sème à la volée. Il s’abandonne en toute confiance et avec délices à la logique de l’esprit, selon laquelle il trace ses plans de vie ordonnée, d’activité raisonnable et heureuse.

Si ses idées le rapprochèrent un instant d’un parti, et si lui-même put croire qu’il donnait son adhésion à un programme, c’est évidemment parmi les socialistes qu’il devait se ranger. On le vit quelque temps membre de la « Fabian Society » dont il se détacha en 1908. Il est socialiste, en effet, dans la mesure où il admet que le développement libre des individus ne saurait leur assurer le bonheur et qu’il y faut nécessairement l’intervention de l’État.

Il est socialiste parce que « l’obstruction des droits acquis et des timidités anciennes » empêche les hommes de s’élancer dans de vastes entreprises, de « combiner une foule d’activités jadis dispersées et entravées par les patrimoines et les propriétés immobilières, grouper et consolider d’immenses énergies, réaliser de la sorte de formidables économies… » Nos civilisations lui apparaissent alors comme le résultat chaotique d’efforts individuels mal dirigés, de forces obscures et de tâtonnemens aveugles. Ni ces tâtonnemens, ni ces efforts ne peuvent rien pour le progrès. Il faut une organisation nouvelle, réglée, imposée et maintenue par un pouvoir nouveau : l’État créateur d’ordre, attentif à encourager toutes les initiatives et à les accorder, capable enfin d’assurer, dans l’harmonie de l’ensemble, les avantages de chacun. Pour lui tracer son programme, M. Wells s’occupe assez peu des partis et des sectes. La supériorité du socialisme tient, d’après lui, à ce que cette doctrine est plus proche de la science : pourquoi ne pas s’adresser directement à la science elle-même ? Le bonheur collectif par le

  1. Une utopie moderne, 16-17.
  2. Actions et Réactions.