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ou le ruiner. Et, d’autre part, ils éprouvent des difficultés intérieures et extérieures à dériver le Devoir d’affirmations métaphysiques transcendantes comme celles que professait le spiritualisme traditionnel plus ou moins inspiré du christianisme, par exemple de l’existence de Dieu. Voulant donc conserver le Devoir et ne croyant pas pouvoir l’appuyer sur Dieu, la plupart des maîtres sont amenés par là même au criticisme moral. Car la grande originalité de la philosophie morale de Kant est de se constituer de façon indépendante de toute métaphysique. Au moment où l’Ecole est séparée de la Religion, où l’Église est séparée de l’État, où toutes les anciennes constructions métaphysiques paraissent en ruines, où tous les dogmatismes sont battus en brèche, une telle philosophie a pour elle, outre ses raisons intrinsèques et scientifiques, toute la force qu’aux doctrines aussi bien qu’à toute chose vivante apporte l’opportunité.

Nous avons rappelé plus haut par quelle série de déductions Kant a tiré de l’absolutisme du Devoir l’indépendance de la morale, l’autonomie de la volonté, la valeur absolue de la personne humaine. Ce sont là les points particulièrement chers à tous les moralistes contemporains. C’est aussi parla, pensent-ils, qu’ils marqueront le mieux leur attitude d’indépendance — quelques-uns disent : de libération — vis-à-vis du christianisme. Dans une conférence qui a eu du retentissement et dont le titre a donné plus tard son nom à tout un volume, M. Séailles a énuméré ce qu’il appelait les Affirmations de la conscience moderne, et la plus importante de ces affirmations, celle qui constitue comme le principe d’où dérivent toutes les autres est celle de l’autonomie de la personne et de la raison. C’est là, d’après M. Séailles, ce qui caractérise la conscience moderne, ce qui la sépare radicalement du christianisme comme de tout dogmatisme. Au nom de Dieu, le christianisme impose ses commandemens à la conscience ; la conscience moderne au contraire n’obéit qu’à ses propres lois. La conscience chrétienne, selon M. Séailles, n’obéit que par crainte du châtiment, par espoir des récompenses, et tantôt elle tremble devant la verge vengeresse, tantôt elle calcule les joies futures que son obéissance peut lui valoir. Calculatrice comme un usurier, tremblante comme un esclave, dans les deux cas toujours misérablement servile. La conscience moderne au contraire ne s’inquiète que de se