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bien le Devoir n’exprime comme toutes les autres législations du monde qu’une législation relative, il ne descend plus alors d’un ciel mystérieux, ciel supérieur et théologique ou ciel intérieur de la conscience. Il monte pour ainsi dire de l’expérience, est toujours sujet au changement et soumis à correction, sa valeur résume les valeurs d’où il est tiré, il n’a pas une valeur en lui-même et par lui-même. Il n’est pas un modèle qui doit s’imposer à la conduite, mais une simple copie de la conduite des hommes.

De ces trois écoles, les deux plus actives, comme il convenait, sont les deux dernières. Car ceux qui gardent la tradition ne pensent guère ordinairement qu’à la défendre, tandis que ceux qui vont à la découverte doivent être à la fois plus aventureux et plus bruyans.

Le criticisme, qui avait jadis inspiré l’Intention morale de Vallier ainsi que plus d’un des cours du regretté Hannequin, ne paraît avoir fait naître aucun livre très important. C’est lui cependant dont on retrouve les grands principes dans le Problème moral de M. Parodi, dans les très remarquables articles de critique qu’a donnés, à la Revue de métaphysique et de morale, à la Revue philosophique et à l’Année psychologique, M. Georges Cantecor. C’est encore lui dont M. Pillon et ses collaborateurs soutiennent les principes dans l’Année philosophique et c’est lui surtout dont l’esprit et les tendances se retrouvent dans l’enseignement moral qui fut donné dès l’origine et qui est donné encore dans les écoles supérieures de Fontenay, de Saint-Cloud, de Sèvres par les Marion, les Pécaut, les Darlu et les Jacob. La doctrine morale kantienne constitue encore le fond essentiel de l’enseignement moral des lycées. Tandis que le criticisme, comme philosophie spéculative, semble avoir perdu du terrain et être même très délaissé, sa philosophie pratique continue à vivre au moins dans l’enseignement.

Et ceci n’est pas étonnant. Car, d’une part, des maîtres qui ont eux-mêmes une sévère conscience professionnelle éprouvent, en effet, de secrètes répugnances à diminuer devant les jeunes consciences qui leur sont confiées l’autorité absolue du commandement moral. Ils se démentiraient d’abord et ils s’en voudraient ensuite s’ils niaient l’existence du Devoir, s’ils venaient par leurs théories ou par leurs explications l’énerver, l’affaiblir