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que les Ribot et les Espinas, s’inspirèrent du positivisme anglais. Et, en même temps, Charles Renouvier, sentant la faveur venir, commença à publier une Année philosophique, où, après avoir exposé directement sa pensée personnelle dans des articles de fond, il soumettait les ouvrages philosophiques parus dans l’année au jugement des doctrines criticistes. Ainsi, au moment de la grande crise nationale de 1870, de même que tout un personnel politique se tenait prêt à remplacer le personnel impérial, tout un ensemble d’idées neuves se préparaient et s’organisaient pour remplacer les idées traditionnelles.

Après la défaite et tant que dura l’Assemblée nationale, l’enseignement moral officiel ne subit à peu près aucun changement. Cependant, à chaque promotion nouvelle, le nombre des professeurs positivistes ou kantiens augmentait dans les lycées. Le kantisme surtout dominait. Charles Renouvier s’unit alors à M. Pillon et publia la Critique philosophique, d’abord en petites feuilles hebdomadaires, puis en fascicules mensuels. C’est dans les articles de ce recueil que furent proposées et discutées bien avant qu’elles fussent soumises au Parlement les dispositions législatives qui ont constitué notre législation scolaire. Peu à peu, dans l’enseignement aussi bien que dans les grands ouvrages philosophiques, le spiritualisme a perdu de son crédit et ceux mêmes qui, parmi les. penseurs ou les simples écrivains, affirment encore leur croyance en Dieu ou en l’immortalité de l’âme, en un Dieu législateur des consciences, en une immortalité où se réalisent les justes sanctions, ne se croient pas pour cela obligés d’adopter l’esprit ni même de souscrire à tous les préceptes de la morale chrétienne. Si bien qu’au moment où la loi a proclamé l’indépendance absolue de l’Ecole vis-à-vis de l’Église, en même temps qu’elle chargeait l’Ecole de donner un enseignement moral, la pensée philosophique se trouvait fort divisée aussi bien sur les préceptes que sur les principes de la loi morale. Quelle est la raison d’être des préceptes moraux et pourquoi sommes-nous obligés de leur obéir ? Quel est le détail de ces préceptes ? L’Église, le christianisme ont un système, très net, très ferme, très cohérent ; hors de l’Église, chaque école, bien plus, chaque penseur propose le sien. Puisque la pensée est proclamée libre, pourquoi chaque maître n’aurait-il pas aussi le sien et à quel titre lui serait-il interdit de l’enseigner ? Rien n’était donc plus urgent que de constituer une science de la