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consentement commun des droits que la loi devra sortir, et que le devoir naîtra uniquement de la rencontre et même de l’opposition des droits. Aucune volonté, si haute qu’elle puisse être, n’a le droit de se servir de l’homme sans l’acquiescement de l’homme. La République est le seul gouvernement de droit aussi bien dans l’univers que dans les États. Toute tyrannie, qu’elle s’étiquette du nom de Dieu ou qu’elle se couvre des oripeaux monarchiques, est également injuste et odieuse.

Sous des formes pédantesques et plus bénignes, l’Allemand Kant[1] donna à ces théories toute leur rigueur. Dans la Critique de la raison pratique, comme dans les Fondemens de la métaphysique des mœurs, bien que partant du fait du devoir, ou, comme il s’exprime, de l’impératif catégorique, il n’en arrive pas moins par ses analyses à découvrir dans le Devoir l’existence et comme la manifestation du Droit. L’homme ne doit pas parce qu’il obéit à quelque chose qui vaut plus que lui, c’est au contraire sa propre valeur qui est l’origine et la raison d’être de son devoir. Ce n’est plus Dieu qui exprime ses commandemens par la loi morale, c’est la loi qui revêt tous les caractères de la divinité. Elle n’a pas besoin d’être justifiée, car elle vaut plus que tout, et c’est elle qui justifie tout. Le bien lui-même n’est bon que s’il est d’accord avec elle. Nos actions ne sont pas obligatoires parce qu’elles sont bonnes, mais elles ne sont bonnes que parce qu’elles sont obligatoires. L’homme, pour être moral, doit jouir de ce que Kant appelle l’autonomie, c’est-à-dire qu’il ne doit obéir qu’à sa propre loi, il ne peut être mis au service de personne, il ne peut subir aucun esclavage, aucune maîtrise. Ni la nature, ni Dieu même n’ont aucune espèce de droit sur la personnalité morale. C’est d’elle-même, de sa propre dignité et de sa propre valeur que dérivent tous les devoirs. La théologie, la physiologie peuvent donner des conseils, mais non pas des ordres. Aucun ordre, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, ne vaut que s’il est entériné par la conscience, authentiqué par son exprès et formel assentiment. Kant professe sans doute la croyance à une vie future où se réalisera le souverain bien, où le bien s’accordera avec le bonheur ; mais

  1. Le livre le mieux informé, et le plus solide que nous ayons sur la Philosophie pratique de Kant est celui qu’a publié sous ce titre M. Victor Delbos, in B, Paris, Alcan, 1905.