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changées, mais les hommes le sont. L’abaissement de l’âge de la retraite de soixante-cinq à soixante ans coûtera aujourd’hui aussi cher qu’hier, mais le gouvernement l’accepte. Négligeons pour le moment la question financière pour n’envisager que la question politique : pourquoi le ministère Monis, qui résistait à M. Codet au Sénat, a-t-il capitulé devant M. Jaurès à la Chambre ? La raison en est simple : c’est qu’il a eu l’impression qu’en défendant le budget il ne serait pas renversé au Palais du Luxembourg, tandis qu’il risquait de l’être au Palais-Bourbon.

Est-ce là gouverner ? Personne n’en a eu l’impression, et cette séance de la Chambre où le ministère a fait successivement tout ce qu’on a voulu, sans opinion personnelle, sans autre préoccupation que celle de se sauver lui-même ; cette séance où on l’a vu, comme un bouchon de liège sur l’eau, suivre le courant et tourbillonner avec lui, a diminué encore le peu de considération politique qui lui restait. L’irritation qu’il avait déjà soulevée s’est changée en moquerie. Comment renverser, a-t-on dit, un ministère dont le président est couché dans son lit et dont les membres valides viennent successivement se coucher eux-mêmes devant la Chambre pour laisser passer l’orage sur leur dos horizontal ? Un ministère qui adopte cette attitude offre évidemment peu de prise ; mais si on le laisse vivre, comment lui accorder la moindre considération politique et lui tenir compte d’une autorité qu’il abdique ? Le laisser vivre, disons-nous : cela même ne dure qu’un temps, et ce temps s’est trouvé court. Les Chambres réagissent contre un gouvernement trop autoritaire ; en revanche, quand elles ne sentent plus de gouvernement du tout, elles sentent que quelque chose de nécessaire leur manque à elles-mêmes et elles réagissent dans le sens opposé. Le gouvernement de M. Monis a été renversé parce qu’il ne gouvernait pas, et qu’un gouvernement qui se donne comme bon à faire tout ce qu’on voudra n’est proprement bon à rien. La première occasion sert à se débarrasser de lui. Elle est venue cette fois de M. le ministre de la Guerre ; mais avant d’en parler, il faut dire un mot du scrutin de liste avec représentation proportionnelle parce que la dernière séance que la Chambre lui a consacrée et le vote par lequel elle l’a close ont été pour quelque chose dans la crise ministérielle d’aujourd’hui : ils influeront aussi sur les difficultés qui attendent le ministère de demain.

Scrutin de liste, représentation proportionnelle, nous écrivions, il y a quinze jours, que le temps des discours sur ces questions était