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État, au milieu duquel les Szekel constituent un groupe national distinct. Ce n’est point aujourd’hui notre objet de discuter la valeur d’un tel plan et de ceux qui dérivent des mêmes préoccupations ; mais, au point de vue qui nous occupe, il faut bien voir que toute modification de la constitution de l’Empire des Habsbourg dans un sens fédéraliste importe au plus haut point aux intérêts et à l’avenir de la Roumanie. Il pourrait, en effet, arriver de deux choses l’une : ou bien certains fragmens, si le lien fédéral n’était pas assez fort, pourraient aller chercher au dehors leur centre d’attraction : les Roumains, par exemple, pourraient se tourner vers Bucarest ; ce serait alors la dislocation de l’Autriche-Hongrie. Ou bien, au contraire, l’État habsbourgeois reconstitué serait très fort et attirerait à lui les petits États du Balkan et du Danube ; les Roumains du royaume iraient se joindre à ceux de Transylvanie. Les Roumains, pour retrouver leur unité nationale, ne refuseraient peut-être pas d’entrer dans un grand système de Confédération danubienne sous l’hégémonie de l’Autriche et le sceptre des Habsbourg. Alors serait réalisée l’étonnante prophétie de Bismarck, que nous aimons à citer parce qu’elle découvre, sur l’avenir, des horizons inattendus : « Il est naturel que les habitans du bassin du Danube puissent avoir des besoins et des vues qui s’étendent au-delà des limites actuelles de la monarchie austro-hongroise. Et la manière dont l’Empire allemand s’est constitué montre le chemin par lequel l’Autriche peut arriver à une conciliation des intérêts politiques et matériels qui sont en présence entre la frontière orientale des populations de race roumaine et les bouches de Cattaro[1]. »

De tous ces rêves d’avenir, retenons seulement quelques certitudes. Celle-ci d’abord, qui pèse sur toute la politique de l’Europe et sur les destins de la Roumanie en particulier : depuis Vienne jusqu’au Bosphore, l’Europe n’a pas encore trouvé son assiette définitive ; entre les frontières artificielles des États et les frontières réelles des peuples et des langues, l’écart est trop grand pour être immuable. Comment et au profit de qui des remaniemens s’opéreront-ils ? Il serait téméraire de le prédire ; mais il est certain que, dans ces transformations, un rôle considérable est réservé à la Roumanie et à la nationalité roumaine.

  1. Gedanken und Erinnerungen, II, p. 252.