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réunis ; ainsi associés, ils constituent un appoint important dans les luttes parlementaires, et ils obtiennent, en portant leurs voix au bon moment d’un côté ou de l’autre, d’importantes concessions pour leurs intérêts nationaux.

La Bessarabie a été séparée de la Moldavie par le traité de Bucarest, en 1812, et réunie à la Russie. Le traité de Paris, en 1856, pour éloigner les Russes des bouches du Danube, a donné les trois districts méridionaux, riverains du grand fleuve, à la Roumanie. Ce sont ces districts que la Russie a revendiqués et repris au traité de Berlin (1878). La Bessarabie est habitée par environ 1 300 000 Roumains ; ce sont des paysans parmi lesquels, jusqu’à présent, le sentiment national roumain fait peu de progrès ; au contraire, le pays se russifie peu à peu. Les grands propriétaires sont russes, les commerçans des villes et des bourgs sont juifs ; le paysan, courbé sur son sillon, est roumain.

Répétons, pour être complet, qu’environ 90 000 des paysans qui, en Serbie, cultivent les plaines qui bordent le Danube, au Nord de Negotin, sont des colons roumains venus de la Petite-Valachie et du Banat. On ne signale, parmi eux, aucunes tendances irrédentistes.

Tout autour de lui, le royaume de Roumanie voit donc se développer des groupes nombreux de Roumains : ce sont les pierres d’attente de la « Grande-Roumanie. » Dans l’état actuel de l’Europe orientale, la Roumanie ne peut espérer et ne recherche effectivement aucun accroissement de territoire, mais, dans le silence, elle se prépare pour l’avenir ; elle attend qu’une guerre, un groupement nouveau des puissances, une modification de la physionomie actuelle de la péninsule des Balkans ou de la constitution interne de l’Empire austro-hongrois fassent naître pour elle l’occasion de revendiquer à son profit une application du principe des nationalités. Dans toutes les hypothèses, elle peut espérer un bénéfice. Nous avons vu quels pourraient être son attitude et le prix de son concours dans le cas d’un conflit turco-bulgare. Si le rapprochement qui paraît actuellement se dessiner entre Vienne et Sofia[1]

  1. Le 4 mars 1911, le roi Ferdinand a fait à l’empereur François-Joseph une visite officielle. Peu de temps auparavant, M. Tcharikof, ambassadeur de Russie à Constantinople, était venu à Sofia. On peut se demander si cette visite de l’ambassadeur russe à Constantinople, suivant de près l’entrevue de Potsdam, n’aurait pas eu pour but de faire connaître au roi Ferdinand et à ses ministres que la volonté de la Russie et de l’Allemagne est que le statu quo ne soit pas troublé en Orient et que, si la Bulgarie se lançait dans une aventure, elle ne pourrait pas compter sur l’appui de la Russie ; elle devrait lutter à la fois contre les Turcs et contre les Roumains. Faudrait-il voir une corrélation entre cette démarche et le voyage du roi Ferdinand à Vienne ?