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patiemment formée par le prince Carol, parut sous Plevna ; ses succès, qui sauvèrent l’armée russe, furent, pour toutes les puissances, une révélation ; le jour du dernier assaut de Plevna, la Roumanie, par le courage de ses soldats et l’énergie de son souverain, acquit droit de cité en Europe : le pays y gagna son indépendance et le prince sa couronne royale. Au traité de Berlin, la Roumanie dut céder la Bessarabie méridionale que la Russie avait perdue par le traité de Paris et qu’elle tenait à honneur de recouvrer, mais elle reçut en compensation la Dobroudja. L’avenir a prouvé qu’en dépit des apparences, elle n’avait pas perdu au change. La Dobroudja est une terre vierge, une terre de colonisation que les Roumains mettent aujourd’hui en valeur, et surtout ils ont acquis, avec le port de Constantza, une fenêtre sur le monde extérieur. C’est par Constantza que la Roumanie respire.

Les premiers mois qui suivirent le traité de Berlin furent pour la Roumanie et son roi une période d’incessantes alarmes. On croyait alors que la Bulgarie, affranchie par les victoires russes, resterait sous la tutelle étroite du Cabinet de Pétersbourg. La Roumanie dut subir le passage, sur son territoire, d’une route d’étapes pour le ravitaillement et la relève de l’armée qui occupait la Bulgarie ; certains corps russes se comportèrent chez leurs alliés comme en pays conquis ; ils n’ont pas laissé un bon souvenir dans les villages moldaves. Il fallut toute la diplomatie fière et conciliante à la fois du roi Carol, pour éviter, dans ces circonstances difficiles, une catastrophe ou une humiliation nationale. C’est depuis cette époque que la dynastie de Hohenzollern est devenue, en Roumanie, une royauté vraiment nationale. La Bulgarie, cependant, ne tarda guère à secouer la tutelle un peu lourde du « tsar libérateur » et de ses généraux ; les défiances des Bulgares à l’égard de la Russie, leur passion pour une indépendance complète ont beaucoup servi la Roumanie dans l’œuvre de son propre affranchissement. Le redoutable étau qu’elle avait craint un moment de voir refermer sur elle ses puissantes mâchoires, desserrait son étreinte ; la Roumanie respirait. Mais la leçon n’a été perdue ni pour elle, ni pour son roi. Celui-ci s’est appliqué avec une sollicitude plus active que jamais au renforcement et à l’instruction de son armée. Aujourd’hui la Russie, même en cas de conflit avec la Turquie, ne serait plus tentée de violer le territoire