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déterminante, même en dehors des champs de bataille, mais il en est ainsi, et il en sera ainsi longtemps encore : dès lors, quelque intérêt que le Maroc présente pour nous, nous devons conserver disponible la totalité de nos forces. Si nous avions une armée coloniale qui nous permît de faire de grandes expéditions extra-européennes sans emprunter à notre armée continentale, ou même à notre armée algérienne, quelques-uns de leurs élémens essentiels, nous raisonnerions peut-être autrement ; mais nous venons de constater que nous n’avons qu’un embryon d’armée coloniale et, pour faire notre opération marocaine, il a fallu dégarnir l’Algérie dans des proportions qui, à la longue, pourraient y constituer un danger. Juge-t-on ces données insuffisantes ? Qu’on interroge l’histoire : il ne faut pas remonter bien haut pour y trouver l’exemple d’expéditions qu’aucune nécessité ne nous imposait et qui, nous privant de nos forces au moment où nous en aurions eu le plus grand besoin, ont diminué notre confiance en nous-mêmes et paralysé notre action. Ces leçons du passé nous ont coûté assez cher pour que leur enseignement nous profite.

Bien que nous l’ayons dit plusieurs fois déjà, il n’est peut-être pas inutile de répéter que nous devons nous attacher à l’Acte d’Algésiras comme à une sauvegarde de notre situation au Maroc. Il n’est pas parfait assurément, mais s’il venait à être déchiré, rien ne prouve qu’il serait remplacé par un meilleur. Ici encore laissons le temps faire son œuvre et contentons-nous du présent en le corrigeant et en l’améliorant peu à peu. À ce point de vue, plus tôt nous quitterons Fez, mieux cela vaudra. Il restera pour nous le prestige d’une opération qui nous a amenés en peu de jours sous les murs de la ville. Fez semblait intangible ; les Marocains ont vu qu’elle ne l’était pas et ils y regarderont à deux fois avant de nous mettre dans l’obligation de leur donner une nouvelle démonstration de notre supériorité utilitaire. Ils nous craindront désormais davantage ; appliquons-nous maintenant à les rassurer en leur montrant que nous n’avons pas l’intention de les conquérir et de les gouverner. Respectons provisoirement leurs mœurs, même lorsqu’elles ne sont pas respectables, puisque nous ne pouvons pas les changer d’un seul coup. Cette conduite, pratiquée avec persévérance, portera ses fruits qu’il ne faut pas chercher à cueillir avant l’heure : le temps travaille pour nous. Mais cette conduite est toute une politique, et ce que nous avons dit en commençant de la mobilité, de la versatilité, de l’impressionnabilité de notre gouvernement nous fait craindre qu’il ne sache