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enfin, soit : nous attendons la réalisation de cette dernière promesse et nous souhaitons qu’elle soit tenue. Il ne peut évidemment pas s’agir de quitter Fez du jour au lendemain, sans avoir pris aucune précaution contre le retour de la situation qui nous y a amenés ; personne ne comprendrait qu’après avoir fait cet effort, nous nous exposions à le recommencer dans quelques mois. Mais alors que faire ? Deux questions s’imposent à nous, une question politique et une question militaire. La première n’est pas la moins délicate à résoudre. Elle consiste à savoir quelle doit être notre attitude à l’égard du Sultan.

Si nous l’avons sauvé, ce n’est sans doute pas à cause de l’intérêt que nous prenons à sa personne. Avant de monter sur le trône en y supplantant son frère, Moulaï Hafid, probablement bien conseillé par des personnes qui connaissaient l’Europe, se présentait à elle comme un prince éclairé, modéré, humain, presque philosophe, au point que M. Jaurès en était émerveillé et n’en parlait qu’avec tendresse. Mais depuis, Moulaï Hafid a démenti toutes ces belles promesses, au point que M. Jaurès n’en dit plus rien et que nous n’en dirons rien nous-mêmes, puisque nous ne pourrions en dire que du mal, ce qui, dans les circonstances présentes, serait plus nuisible qu’utile. Moulaï Hafid est détesté de ses sujets et le concours que nous venons de lui prêter n’est pas de nature à lui refaire une popularité. Toutefois, ce concours nous engage dans une certaine mesure et, sans aimer le Sultan pour lui-même, sans espérer qu’il se fasse aimer par les autres, nous devons lui fournir quelques moyens de se soutenir. Ne nous dissimulons pas que ces moyens sont surtout pécuniaires ; tant qu’il aura de l’argent, le Sultan trouvera des soldats ; mais comment lui fournir de l’argent ? Le Maroc a déjà une dette écrasante, qui provient en grande partie des opérations militaires faites par nous et par les Espagnols, dans son intérêt, nous le voulons bien, dans celui de la civilisation à coup sûr, mais non pas dans celui de ses finances. Nous venons de procéder à une nouvelle expédition militaire, plus importante encore que les précédentes, et qu’il est encore plus naturel de faire payer par le Sultan, puisqu’il nous a appelés. Cependant il y a une limite à tout, et nous nous demandons avec inquiétude quelle est la vraie situation pécuniaire de Moulaï Hafid. Point d’argent, point de Suisses, disait-on autrefois : avec quelques variantes dans les termes, la même affirmation s’applique au Maroc d’aujourd’hui. La première question à y résoudre est donc financière, et de sa solution dépend celle de presque toutes