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soit sans esprit de retour. Probablement nous aurons une accalmie de quelques semaines. La saison des moissons est commencée et on sait qu’elle suspend toujours les hostilités au Maroc. Il faut profiter de ce temps de répit pour mettre Fez à même de repousser un retour offensif des tribus rebelles et le Sultan en situation d’exercer son autorité, sans nous faire d’ailleurs illusion sur ce qu’elle conserve de précaire. Le Sultan nous a appelés, nous sommes allés à son secours, nous l’avons sauvé : ce ne sont pas là des recommandations pour lui auprès de ses sujets. Le problème marocain reste le même qu’auparavant. Quelques journaux ont conclu de la rapidité et de la facilité de notre marche sur Fez qu’on s’était fait illusion sur les résistances que le Maroc pouvait nous opposer, et ils ne sont pas éloignés d’en conclure que nous n’avons qu’à marcher de l’avant pour être les maîtres du pays. À cet optimisme complaisant nous ne voulons pas opposer un pessimisme exagéré ; mais, n’ayant pas cessé de répéter que les difficultés véritables commenceraient quand nous serions à Fez, ce n’est pas au moment où en effet nous y sommes que nous les croirons supprimées.

Notre principale inquiétude vient de ce que notre gouvernement n’a jamais fait ce qu’il s’était tout d’abord proposé. Rien que son œuvre marocaine n’ait encore duré que quelques semaines, elle a traversé plusieurs phases différentes. Dans la première, il n’était nullement question d’aller à Fez ; le gouvernement protestait de sa ferme intention de ne pas le faire et nous ne doutons nullement de sa sincérité. Nous sommes moins sûrs de sa fermeté. Comment pourrait-il en être autrement puisque, dans une seconde phase qui a succédé très vite à la première, le gouvernement a envoyé dans la Chaouïa des forces considérables dont la poussée en quelque sorte mécanique devait le faire avancer plus ou moins loin, mais enfin le faire avancer dans la direction de Fez. C’est ce qui est arrivé ; mais alors le Conseil des ministres a décidé que nos colonnes s’arrêteraient à une certaine distance de la ville, laissant aux troupes chérifiennes le soin de faire le reste du chemin. Cette solution nous semblait sensée, et d’autres, plus entreprenans que nous, s’en contentaient : malheureusement, pendant que nous étions occupés à en faire ressortir les mérites, le Conseil des ministres se réunissait de nouveau et, sans donner d’ailleurs le motif de sa conversion, décidait cette fois qu’on irait à Fez, — mais qu’on n’y resterait pas. On n’y restera pas ? Nous serions fort aise qu’on pût effectivement ne pas y rester après y être allé ; ce ne sera pas aisé ; le gouvernement joue la difficulté ; mais