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de l’Abyssinie, ils pourront donc sans doute provoquer des défaillances, entretenir des fissures. Plus on y réfléchit et plus on songe avec inquiétude, — si l’on est, comme tous les Français doivent l’être, un partisan de la consolidation de l’indépendance éthiopienne, — qu’il faudrait quelque chose de presque miraculeux pour donner à l’Ethiopie l’avenir durable que l’on désire pour elle.

Ménélik pouvait beaucoup pour son pays, mais non lui assurer ce miracle. Il n’appartenait pas à un seul homme, si puissante que fût sa personnalité, de faire, dans la durée d’une seule génération, passer son peuple d’une civilisation rappelant nos temps mérovingiens à l’exactitude et à l’ordre du XXe siècle. Mais du moins Ménélik a-t-il su, selon les exigences et les possibilités du milieu, assurer fortement les choses pour la durée que la prévoyance d’un homme peut raisonnablement espérer couvrir. Si l’avenir lointain est nuageux, l’avenir immédiat est sauvegardé. La succession du Négous est réglée de manière à éviter les compétitions armées qui la réglaient depuis si longtemps en Ethiopie. Le danger intérieur est écarté pour un temps, comme l’a été le péril extérieur par les circonstances internationales qui ont permis la conclusion de l’accord du 13 décembre 1906.

Sans doute, le futur Roi des Rois, Lidj Yassou, solennellement proclamé héritier par l’Empereur dès que celui-ci commença à se sentir malade, n’est qu’un enfant de treize ans. Il ne saurait donc avoir la situation personnelle que s’était faite, par sa valeur, le Ras Maconnen, mort trop tôt pour remplir la destinée que lui réservait le Négous. Mais Lidj Yassou, né d’une fille de Ménélik et du fils d’un seigneur musulman autrefois vaincu et soumis par le roi du Choa, a été soigneusement entouré d’un groupe de puissans personnages qui furent comme les chevaliers de la Table Ronde de l’Arthus éthiopien. Le premier de ces paladins fut Tessama, l’ami des Français de la mission de Bonchamps. C’est lui qui réprima les tentatives ambitieuses menées par l’impératrice Taïtou aussitôt que l’intelligence de Ménélik se fut éteinte. Cette princesse autoritaire, s’appuyant sur les gens du Nord, en particulier sur ses compatriotes du Godjam, s’agita pour s’emparer du pouvoir. Mais Tessama avait dans la main l’armée de Ménélik. Les soldats de l’impératrice ne se sentirent pas de force. Son palais fut cerné, tenu sous la menace des