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en effet, à voir tomber entre les mains de ses voisins un pays situé dans une région de l’Afrique où tout agrandissement serait excentrique pour notre puissance, et nécessairement très inférieur à ce que prendraient les deux autres nations européennes limitrophes de l’Ethiopie ? Une telle éventualité ne saurait être pour nous qu’un pis aller, bien moins tentant que la perspective d’exercer nos initiatives et notre influence amie dans une Ethiopie indépendante. Le souci de l’avenir de Djibouti lui-même devait condamner la politique d’internationalisation du chemin de fer. Avec la voie ferrée, qui, à peine arrivée vers l’autre côté du désert, lui apporte déjà la vie, notre escale nécessaire sur la route de Madagascar et de l’Indo-Chine deviendra non seulement une possession ne nous coûtant rien, mais encore un grand emporium portant d’une manière flatteuse notre drapeau à l’entrée de l’océan Indien. Sans le chemin de fer, Djibouti resterait un port mort et coûteux, une sorte de préside perdu sur la côte désertique du Somal. Et comment pouvions-nous être garantis qu’une compagnie internationale en théorie, et anglaise en réalité, ne construirait pas un embranchement qui détournerait le trafic de l’Ethiopie sur un port britannique, Berberah par exemple ? En fin de compte, la disparition de cette grande entreprise, non pas du capital français, mais de tout intérêt français reconnu et organisé ne pourrait-elle pas permettre un jour à la politique britannique d’absorber même le Harrar et les pays éthiopiens voisins de Djibouti dont l’isolement et la mort sur son littoral aride deviendraient ainsi irrémédiables ?

Du moment où on réfutait ainsi l’argumentation des internationalisateurs et où on suivait obstinément sous tous ses déguisemens ce Protée fuyant et abondant en formes, les pouvoirs publics ne pouvaient se laisser énerver et séduire, d’autant moins que nul n’eût désiré paraître solidaire des intérêts financiers qui inspiraient cette campagne. Cependant le gouvernement hésita longtemps à prendre les mesures qu’exigeait la politique affirmée par M. Delcassé.

On sait que nos gouvernans ne sont pas volontiers « solutionnistes. » Pour les ministres qui eurent successivement à s’occuper de la question du chemin de fer d’Ethiopie, c’était une affaire ennuyeuse, un peu troublante par la crainte de découvrir des ramifications inattendues le jour où on voudrait extirper le mal. Ils s’efforcèrent donc de gagner du temps, en ordonnant