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extérieurs du pays, cette machination aurait sans doute fini par avoir raison de la résistance, d’abord très irrésolue, de notre gouvernement, si ces manœuvres n’avaient pas été dévoilées et combattues dans une contre-campagne dont le Comité de l’Afrique Française fut l’âme, et qui dura pendant les années 1905, 1906 et 1907. Dès le 1er avril 1905, M. Delcassé, saisi des protestations et des vœux du Comité de l’Afrique, déclarait au Sénat que la politique du gouvernement de la République était de maintenir le caractère français de la Compagnie qui construisait le chemin de fer de Djibouti à Addis Ababa.

Cette politique était évidemment conforme à l’intérêt français. Les avocats de l’internationalisation soutenaient que Ménélik était avec eux, parce que son ombrageuse susceptibilité nationale redoutait un chemin de fer « politique » construit par une compagnie française ? Cela était bien étrange puisque, par le traité du 15 mai 1902, le Négous avait concédé non pas à une Compagnie anglaise, mais au gouvernement britannique lui-même, le droit de faire passer une voie ferrée reliant Khartoum à l’Ouganda, soit une section du fameux Cap au Caire, à travers l’Ouest de l’Ethiopie. Laquelle de ces deux lignes aurait-elle donc été le plus dangereusement « politique ? » Ainsi Ménélik, ayant deux poids et deux mesures, aurait donné la mauvaise à une puissance qui ne l’avait jamais menacé, et qui, dès 1897, avait laissé réduire à une simple enclave côtière sa colonie de Djibouti d’où l’Ethiopie avait toujours reçu tout ce qu’elle avait besoin de demander à l’Occident ! Il était clair que cet argument ne pouvait être honnête, et les informations prises à Addis Ababa démentirent les dépêches des Français qui avaient secondé la politique des deux ministres étrangers en Ethiopie ; elles réduisirent facilement à ce que nous avons dit plus haut la prétendue manifestation de Ménélik en faveur de l’internationalisation du chemin de fer. Le Négous ne s’était pas associé, même sans bien la comprendre, à une politique dont le but était de livrer à l’internationalisation, c’est-à-dire, en réalité, à des puissances en situation d’aspirer à absorber peu à peu son pays, la seule artère qui apportât à l’Ethiopie la vie du dehors.

Il nous importait de conserver dans des mains françaises cette voie d’accès pour consolider autant que possible l’indépendance de l’Ethiopie, dont le maintien est l’intérêt de la France comme il est celui du Roi des Rois. Quel avantage aurions-nous,