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commercial, c’est-à-dire établi par une compagnie internationale, ou qu’il ne serait pas. Certains corps constitués ne virent pas tout de suite de quoi était fait ce bloc enfariné qu’on leur présentait et ils adoptèrent les motions sournoises qui leur étaient proposées pour les faire collaborer à la politique d’internationalisation. Immédiatement leurs manifestations étaient publiées en Angleterre où on les opposait à notre diplomatie qui travaillait à défendre la solution nationale.

Ce jeu, pour être plus efficace, devait s’accompagner de mauvaises nouvelles venant d’Ethiopie et on cherchait à obtenir de Ménélik des déclarations contre le chemin de fer français. A cela sir John Harrington et le major Ciccodiccola s’employaient avec une activité que dépassait d’ailleurs le zèle déployé par quelques excellens Français mis au service de la même cause. Le Négous avait vu l’Angleterre l’emporter dans l’affaire du Haut-Nil ; il savait qu’elle avait écrasé les Boers, et ce prestige britannique venait à l’appui de la politique quelque peu comminatoire, du ministre anglais à Addis Ababa. A cette pression s’ajoutait l’effet des cadeaux qui ont toujours eu une influence très appréciable sur la cour primitive d’Ethiopie. Toutes les batteries étant dressées, on organisa au guébi impérial une séance solennelle en s’efforçant d’y faire comparaître le ministre de France un peu avec les allures d’un accusé. Le colonel Harrington et le major Ciccodiccola se dressaient en face de lui, ainsi que certains agens de la Compagnie. On demanda à Ménélik, dans l’esprit mal préparé duquel toutes ces questions financières ne formaient qu’un brouillard obsédant, de se prononcer. Excédé, inquiet de toutes ces querelles, il ne cessa de répondre : « Vous me demandez tous ce chemin de fer, mettez-vous d’accord ! » Mais pour les intéressés cela devait vouloir dire que le Négous condamnait l’entreprise française et, dès le lendemain, les télégrammes de la cabale annonçaient en Europe que le Négous avait demandé l’internationalisation. Il en fut ainsi pendant plusieurs mois : tout fut mis en œuvre pour démontrer que la diplomatie française perdait son temps à soutenir une cause condamnée par la volonté de l’Angleterre, celle du Négous et par l’opinion publique de la France elle-même.

Au milieu de l’ignorance de la majorité de nos compatriotes et de leur trop habituelle indifférence pour les intérêts