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et de constituer une grande compagnie qui puisse mener à bien cette entreprise. » M. Ilg, sujet suisse, fixé depuis longtemps à la cour du Négous, recevait la concession formelle du droit d’établir et d’exploiter un chemin de fer de Djibouti à Harrar et Addis Ababa avec prolongement ultérieur jusqu’au Nil Blanc. Cette concession était accompagnée d’un monopole : seul, son titulaire devait être autorisé à construire une voie ferrée reliant l’Ethiopie à la mer.

Il fallut cependant que l’Ethiopie bénéficiât de la crise d’intérêt déterminée par la bataille d’Adoua pour faire naître la Compagnie Internationale des Chemins de fer Ethiopiens. Cette dernière fut créée par un groupe d’hommes d’affaires français qui avaient déjà constitué la Société des Salines du lac Assal, — une sorte de chott situé au fond de la baie de Tadjoura, — et qui éprouvaient un vif besoin de la liquider en la fondant dans une affaire plus vaste. La concession du chemin de fer d’Ethiopie donna l’occasion d’opérer cette « novation » nécessaire ; malheureusement la compagnie qui l’exploita n’eut ni assez de souffle financier, ni sans doute assez la volonté probe d’exécuter le travail qui faisait son objet, pour accomplir une œuvre honnête et sérieuse. Son existence fut un prodigieux roman de finance et de politique coloniales. De bonne heure, elle mérita l’épithète de véreuse que le ministre des Affaires étrangères lui décernait il y a quelques mois du haut de la tribune du Palais-Bourbon. Deux ans à peine après sa naissance, elle était la chose d’usuriers de Londres qui ne cessèrent de dominer son Conseil d’administration. Nous ne dirons pas que la politique britannique, représentée dès ce moment à Addis Ababa par l’énergique major Harrington, ait provoqué cette mainmise, mais elle trouva ses meilleurs moyens d’action dans les abandons de la Compagnie française, livrée à des financiers étrangers.

Les premiers travaux furent exécutés, plutôt mal que bien, et ces maîtres occultes se firent accorder par la Compagnie des contrats léonins. Puis, lorsque l’heure de se faire payer fut venue pour eux, une habile campagne patriotique commença pour obtenir de l’Etat un subside permettant de libérer la Compagnie française de l’emprise étrangère dénoncée à grands cris. Nos meilleurs élémens coloniaux, dupes des apparences, s’associèrent à cette campagne et la loi du 6 février 1902 accorda à la Compagnie une subvention annuelle de 500 000 francs payable