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les rivalités, aujourd’hui latentes, pouvaient y reprendre l’âpreté qui les caractérisa pendant cette période encore si proche de nous.

On ne saurait tenter d’exposer ici par le menu une pareille histoire : ce serait une tâche trop longue et de plus désobligeante, car l’affaire du chemin de fer d’Ethiopie aurait équitablement, sur bien des points, dû relever de la chronique judiciaire. Pour ce qui est de la politique, dont il vaut mieux sortir le moins possible dans cet exposé, cette affaire devait fatalement nous mettre aux prises avec la diplomatie combinée de l’Angleterre et de l’Italie. Ces deux puissances, situées géographiquement comme elles le sont dans l’Afrique orientale et ayant d’instinct les ambitions que cette situation comporte, ne pouvaient se résigner facilement à en voir une troisième, éprouvant pour l’Ethiopie les sentimens d’un médecin beaucoup plus que d’un héritier, lui créer une artère destinée à la faire participer à la vie universelle. Aussi, de bonne heure, s’efforça-t-on par des intrigues à Addis Ababa et ailleurs de faire passer dans des mains anglaises, capables de serrer au besoin cette artère ou de la détourner sur un port britannique, le chemin de fer qui, depuis 1897, montait de Djibouti vers le plateau éthiopien. De bonne heure aussi, l’entreprise française, comme tous les organismes anémiques et tarés, fit preuve d’une grande réceptivité à ce virus extérieur.

Ainsi que nous l’avons dit, la faille de l’Aouache s’imposa dès le début comme le meilleur tracé que pût suivre un chemin de fer de pénétration de la mer vers l’Ethiopie. La prédominance du Choa dans ce dernier pays et la présence d’une puissance amie sur la baie de Tadjoura rendaient encore plus éloquente cette invitation de la nature et, dès le 6 décembre 1889, dans une lettre adressée au président Carnot, Ménélik demandait l’aide du gouvernement français pour construire une voie ferrée. Le 11 février 1893 le Négous concédait cette voie ferrée dans les termes suivans : « Lion vainqueur de la tribu de Juda, Ménélik II, etc., etc., reconnaissant qu’il est impossible de développer le commerce et l’industrie de mes Etats sans en améliorer les voies de communication et désireux dans ce dessein de faire construire un chemin de fer, j’ai concédé à mon ingénieur, M. Alfred Ilg, l’autorisation de faire toutes les études nécessaires