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éthiopienne, le public aurait dû se garder des fables de voyageurs qui, soit pour se grandir en grossissant ce qu’ils avaient vu, soit même dans un intérêt moins innocent, avaient trop souvent beau mentir parce qu’ils venaient de loin. Mais surtout, pour se représenter la carrière de Ménélik, il aurait fallu faire l’effort de transposer dans un cadre africain et oriental les souvenirs de notre plus haut moyen âge. Le personnage du grand Négous ne se conçoit, en effet, que dans un milieu d’allures mérovingiennes. Il a régné sur un pays fertile en aventuriers belliqueux et où de si nombreux exemples ont montré qu’un soldat heureux peut aspirer à tout, que les morceaux de l’Empire ne sont tenus ensemble que par la force du bras du Souverain. Pendant longtemps son palais né fut qu’un amas de vastes paillotes où il vivait, comme tous les seigneurs éthiopiens, au milieu d’un luxe primitif d’armes, de boucliers en peau d’hippopotame lamés de cuivre et d’argent, de chevaux de guerre et de jarres d’hydromel, avec, pour joie la plus raffinée, le plaisir d’entendre des trouvères à sa solde chanter sa puissance et ses exploits. Son peuple avait hérité de quelque chose des lois de Rome et de Constantinople dont s’inspire, de loin, le code éthiopien, le « Fata Negouste ; » mais la rudesse des mœurs exigeait des châtimens qui ont longtemps compris la peine du talion et qui comprennent encore des mutilations variées. Dans cette barbarie s’ouvraient, comme très anciennement chez nous, des villes de refuge gouvernées par l’autorité ecclésiastique ; mais le christianisme éthiopien, plus encore que la loi, a dû s’adapter à des mœurs primitives. Sous ses formules, qui ne portent plus guère d’esprit avec elles, les Ethiopiens ont, en certaines matières, à peine moins de libertés que leurs voisins musulmans ; c’est ainsi que non seulement ils peuplent leurs maisons de concubines convenablement appelées « cuisinières, » mais encore que ces chrétiens se contentent presque toujours d’un mariage purement civil pour éviter des liens trop solides et trop exigeans. Cette coutume, qui leur permet de divorcer librement, est même pour certaines femmes éthiopiennes un moyen de richesse, puisque la communauté doit être partagée également « jusqu’à un grain de mil. » On dit que la fameuse Taïtou usa six fois de ce procédé pour s’enrichir avant d’avoir la chance d’être appelée à partager le trône de Ménélik.

Si les liens de la famille sont ainsi restés plus souples et