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d’enfans de se faire la classe entre eux et d’y trouver du plaisir ? Je traversais l’ancienne pépinière du Luxembourg et je me rencontrais dans une allée avec un groupe d’une dizaine de fillettes. Elles faisaient cercle, rangées bien sagement autour de la plus grande qui les gourmandait à tour de rôle : « Marguerite, je vous l’ai toujours dit : vous êtes une petite fille détestable ! » Et suivait l’énumération des griefs. Celle à qui s’adressait cette semonce essayait bien de prendre un petit air repentant, mais se pinçait les lèvres pour ne pas rire… trop ostensiblement. Peut-être tout ce petit monde avait-il un malin plaisir à esquisser une sorte de caricature de la vraie classe et de la vraie maîtresse ; mais assurément, ce n’était point là le sentiment dominateur. Que de choses tristes et effrayantes que les enfans ne voudraient pas affronter dans la réalité, mais dont ils aiment à voir la représentation ou à entendre le récit, ce en quoi, comme dit La Bruyère, ils sont déjà des hommes ! Pour eux comme pour nous, l’art, quels que soient les moyens de celui qui l’exerce, est souvent une sorte de revanche contre la réalité. Un Velasquez et un Rembrandt font des tableaux admirables en y fixant les images de têtes rongées par les rides, de corps couverts de haillons, de figures même d’imbéciles. L’enfant fait ce qu’il peut. Il se console d’avoir obéi la veille en commandant le lendemain : la classe qu’il fait, — à sa guise, — le dédommage de celle qu’il a été obligé d’écouter.

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Si le lecteur a bien reconnu jusqu’ici l’enfant, — l’enfant vivant auquel il est habitué, — il sera peut-être surpris d’apprendre que des philosophes aient voulu presque tout ramener chez lui à l’imitation et à la suggestion. Certes, l’enfant est très imitateur, ses jeux en sont la preuve : il est crédule, irréfléchi, facile à l’illusion : ne s’étant encore fixé solidement sur rien, il est exposé à subir toutes sortes d’influences. Mais s’il en est auxquelles il cède très volontiers, il en est auxquelles il résiste et quelquefois avec une grande opiniâtreté. Ici, comme dans son langage et comme dans ses jeux, il a une faculté de choix, d’élection, de fantaisie personnelle, en un mot, une spontanéité que rien ne réussit à masquer… si ce n’est aux yeux de l’homme à systèmes.

Vous êtes devant un enfant tout petit, vous lui tendez les