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Les petits garçons, ayant des jeux plus amples et plus mouvementés, sont obligés d’inventer davantage. Il ne s’agit plus pour eux d’une visite où deux jeunes mamans se présentent mutuellement leurs enfans de cire ou de bois et s’en racontent les aventures. Ils courent, eux, les aventures ; ils partent au loin, livrent des batailles où ils exécutent des mouvemens tournans ; ils colonisent, ils établissent des camps retranchés où les uns montent la garde, tandis que d’autres vont aux provisions, construisent des bûchers avec des petits bouts de bois ramassés sous leurs pieds. Je me rappelle une bande qui, dans un enclos dijonnais, allait fonder… jusqu’au bout du jardin… un établissement fort important. Sur une petite voiture à bras, on avait accumulé toutes sortes d’objets représentant tout ce qui était nécessaire, sans oublier les bâtons qualifiés fusils. Avant de partir, un de la troupe, esprit plus positif, futur polytechnicien, futur ingénieur, s’écrie : « Ah ! nous avons oublié d’emporter de l’eau. » Et aussitôt un de ses camarades, d’esprit moins méthodique et de plus de fantaisie, lui dit avec vivacité : « Ça ne fait rien, il y en aurait ! »

En tout cela l’enfant crée, dispose et fait agir en imagination des choses qui lui plaisent. Dirai-je qu’il a de plus un certain amour de l’art pour l’art ? La formule paraîtra peut-être prétentieuse ; mais qu’on n’en rie pas trop ! L’enfant n’a-t-il pas son art à lui, très imparfait, comme le sont ses moyens d’exécution, mais son art enfin ? S’il y tient, ce n’est pas pour exprimer des pensées raffinées, ni pour transformer la nature en y ajoutant les pensées (suivant la définition de Bacon) ; non ! C’est simplement pour exercer sur les images des choses une action telle quelle, en attendant qu’il en exerce une sur les choses mêmes. Il se récrée comme le font le primitif et le sauvage en dessinant comme ils le peuvent, sur une paroi de leurs cavernes ou sur une pierre, le profil des animaux qu’ils ont combattus. Dans les figurations où il s’empare de ce qui, dans la réalité, déplaît à qui le regarde, l’artiste, l’artiste véritable, veux-je dire, sait captiver l’attention et la charmer par la façon dont il rend les traits caractéristiques de cette laideur. Ainsi fait l’enfant plus souvent qu’il ne le semble. On ne saurait dire que la classe lui plaît. Il faut qu’il s’y tienne tranquille, qu’il y fasse des efforts d’attention, qu’il y reçoive des reproches sans témoigner ni trop de dépit ni trop d’indifférence. Pourquoi donc arrive-t-il à tant