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Plancoët, — je choisis à dessein les horizons familiers à René, — jolis coins, certes, et d’où la grâce n’est point absente, mais qui, à l’ordinaire, ne suggèrent point des images joyeuses : le vert des arbres y semble plus sombre, le bleu du ciel plus gris qu’ailleurs, et le soleil toujours un peu humide, comme un sourire trempé de larmes.

Et maintenant allez à Combourg. Du haut de la vieille tour du Maure, si vous jetez un regard circulaire sur l’immense horizon, de toutes parts, vous n’apercevez que des bois : on pourrait se croire encore comme au centre de cette antique forêt de Brocéliande, si chère aux poètes bretons, si riche en douloureuses et subtiles légendes. Quand le vent souffle ou quand la pluie tombe, il semble vraiment que les fées qui y ont élu leur séjour vous viennent toucher de leurs ailes. Et le matin, aux bords de l’étang rêveur, ou vers le soir, quand le crépuscule descend lentement sur la terre, c’est comme un voile de mélancolie qui se répand doucement sur les choses ; « les grandes voix de l’automne sortent des marais et des bois : » elles parlent à l’âme solitaire, elles lui tiennent le langage troublant et triste qu’elles tenaient déjà, il y a plus d’un siècle, au glorieux adolescent de Combourg.

« O Bretagne, ô très beau pays ! Bois au milieu, mer alentour ! » Ces deux vers d’un vieux poète rendent à merveille l’impression d’ensemble qu’on emporte d’un voyage en terre armoricaine. En Bretagne, la mer n’est jamais loin, et l’on conçoit sans peine que « le même nom maternel et puissant, Armor, » ait jadis servi à désigner et le pays et l’Océan qui l’enserre. — Sur la côte septentrionale si curieusement déchiquetée, et toute parsemée d’écueils et d’îlots, les coins avenans sont rares. Là, la mer n’est point égayée par le joyeux soleil méditerranéen, ni même par la chaude et rieuse lumière qui, bien souvent, paraît-il, se joue sur les bords escarpés du Morbihan, et qui verse tant de grâce heureuse sur la jolie presqu’île de Rhuys, l’aimable patrie du peu mystique Le Sage. Là, sur cette côte peu hospitalière, « une mer presque toujours sombre forme à l’horizon un cercle d’éternels gémissemens. » Là, fièrement campée sur son îlot de granit, embusquée derrière sa ceinture de remparts, Saint-Malo, la vieille cité des corsaires la patrie de Surcouf et de Duguay-Trouin, de Lamennais et de Chateaubriand, semble encore surveiller la mer et méditer