Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compte des objections qu’elle formulait, les 12 avril et 21 mai 1856, contre des réductions prématurées d’effectifs et de crédits ; si ses ministres avaient suivi ses conseils, prévu des formations nouvelles et augmenté les premiers renforts[1], la révolte des Cipayes eût été moins grave et moins sanglante.

Quand on oublie que Victoria est la fille d’un prince formé à l’école des grenadiers prussiens, lorsqu’on ignore qu’elle a accepté les sacrifices de la guerre et savouré les bulletins de victoire, il est impossible de comprendre sa conception du devoir monarchique. L’historien méconnaît la signification de certains gestes d’autorité, impitoyables pour les fauteurs de désordres. Il se méprend sur le sens exact de certains billets d’un ton si impérial, qu’ils auraient pu être signés par un Czar ou un Kaiser. Un peu de l’âme de cette femme, saine et forte, « chantait dans les clairons d’airain. »

Mais il ne faudrait pas en conclure que la reine Victoria a été une souveraine plébiscitaire. Elle a cru à l’origine religieuse de son devoir, sans admettre un seul instant qu’elle eût tous les pouvoirs d’une monarchie de droit divin. Elle a passionnément aimé les émotions militaires, sans cesser une seconde d’être loyalement et complètement constitutionnelle.

Fille d’un caporal idéologue, ami de R. Owen, élève d’un vétéran whig, elle a été profondément hostile aux traditions politiques dont s’inspirèrent, au début du XIXe siècle, les souverains de la Sainte-Alliance. Au lendemain de la crise de 1848, le 30 septembre 1851, elle écrit au roi Léopold :

Sans doute, à notre époque, la situation des princes est devenue difficile, mais elle le serait beaucoup moins s’ils se conduisaient avec honneur et droiture, accordant graduellement au peuple tous les privilèges qui sont à même de satisfaire les gens raisonnables et bien intentionnés, ce qui ne pourrait qu’affaiblir l’autorité des républicains rouges. Au lieu de cela, on prend comme drapeau et comme programme la réaction et le retour à toute la tyrannie et l’oppression (d’autrefois), et l’on arrive à saisir tous les journaux et les livres, et à les prohiber comme aux beaux jours de Metternich…

Si, malgré la générosité de son accueil, elle ne parvient ni à

  1. Tome II, p. 380, 382, 385, 388.