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Elle n’admet pas qu’on hésite à marcher au feu : « Sir Henri Bentinck devrait reprendre du service. Il serait à désirer qu’il en fût ainsi pour l’exemple, car il y a évidemment une certaine tendance à demander des congés pour rentrer au pays, qui ne peut que nuire à l’armée (10 décembre 1854). »

Elle revient sur ce sujet qui lui tient à cœur. Elle insiste (le 22 novembre 1855). Il faut une discipline de fer : « Lord Hardinge devrait donner des ordres, afin d’empêcher que tant d’officiers ne viennent ici en congé, excepté quand ils sont réellement malades. » Elle réclame la construction d’hôpitaux pour remplacer les pontons. Elle s’intéresse aux malades et aux blessés, elle visite les ambulances sans sourciller. Elle distribue des médailles aux invalides, — et avec quelle émotion !


22 mai 1855. — La main rugueuse du brave et honnête simple soldat fut pour la première fois en contact avec celle de sa souveraine, de la Reine. Nobles gens ! j’avoue que j’ai pour eux les mêmes sentimens que s’ils étaient mes propres enfans. Mon cœur bat pour eux autant que pour mes plus proches et plus chers parens. Ils ont été extrêmement touchés et ravis. On m’a dit que beaucoup pleuraient et qu’ils ne voulaient pas entendre parler de donner leur médaille, pour que leur nom y fût gravé, de peur de ne pas recevoir la même que celle que je leur avais remise personnellement. N’est-ce pas touchant ? Plusieurs vinrent en triste état, fort mutilés. Mais aucun n’excita autant d’intérêt, aucun ne fut plus brave, que le jeune sir Thomas Tronbridge, qui, à Inkermann, eut une jambe et l’autre pied emportés par un boulet, et continua à commander sa batterie, jusqu’à ce que la bataille fût gagnée, refusa d’être emmené, désirant simplement que l’on soulevât sa jambe, afin d’empêcher une trop grande hémorragie… On ne peut que respecter et aimer de tels soldats !


Lorsque l’heure de mettre un terme à ces douloureux sacrifices vient à sonner, la dernière voix qui s’élève pour protester contre une paix prématurée n’est ni celle de lord Clarendon, ni même celle de lord Palmerston. C’est une femme, c’est une mère, c’est la Reine, qui écrit le 15 janvier 1856 :


La Reine ne peut cacher à lord Clarendon ses sentimens et ses vœux au sujet de la guerre. Ils ne peuvent pas être pour la paix en ce moment, car elle est convaincue que notre pays n’aurait pas, aux yeux de l’Europe, le prestige qu’il devrait avoir, et que la Reine est certaine qu’il aurait, après la campagne de cette année. L’honneur et la gloire de sa chère armée lui tiennent plus à cœur que presque toute autre chose, et elle ne peut pas supporter la pensée que « l’échec du Redan » soit notre dernier fait d’armes ; et il lui en coûterait beaucoup plus qu’elle ne peut dire de conclure la paix sur cette défaite.