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« Vous me dites, répond Marie-Caroline à Gallo, le 4 juin, que l’Empereur est très irrité contre nous. J’en suis fâchée. Il n’en a aucun motif. C’est une grande faiblesse pour un homme comme lui d’être sensible à ce que l’on dit contre lui, souvent exagéré par la méchanceté. Je ne parle pas contre lui ; je le crois inutile et dangereux. Je dis aussi, dans toutes les occasions, qu’il est un grand et heureux homme. Je le cite comme notre modèle dans toutes, les branches du gouvernement et je crois que tous les princes le devraient étudier et imiter. » Mais elle ne peut lui pardonner ses acquisitions journalières en Italie, ni sa lettre insolente et menaçante, ni les violences de ses généraux, ni l’ordre de renvoyer un ministre aussi estimé qu’Elliot « sous le spécieux prétexte qu’il est Anglais, » ni le désarmement de ses milices. « Appelez-vous cela amitié ou oppression ? s’écrie-t-elle. Et quel sentiment cela doit-il éveiller en nous, ou de la sujétion et de l’avilissement, ou de la rage concentrée et le désir de nous en délivrer ? »

La rage concentrée, c’est bien l’impression que nous donne la lecture des lettres de Marie-Caroline. Ce qu’elle écrit à Gallo, elle le disait, — quoiqu’elle affirme le contraire, — à qui voulait l’entendre, et ses paroles violentes, acrimonieuses, imprudentes étaient répétées partout. Elle maudissait « l’enragé Empereur, le Corse enragé, le Veau d’or, devant lequel chacun pliait le genou, le Buonaparte insolent et furieux, ce moderne Attila, ce Tamerlan, ce Gengis-Khan, cet animal féroce, » dont il fallait calmer le ressentiment, en reconnaissant comme roi d’Italie « ce parvenu Majesté ! » Elle repousse l’accusation infâme de vouloir faire massacrer l’armée française en Pouille. « C’est, dit-elle avec ironie, une idée de Jaffa et des hôpitaux du Pô, mais ce n’est pas ma manière, ni ma morale. Car, si elle n’était pas ce qu’elle est et sera toute sa vie, Sa Majesté Buonapartienne aurait depuis longtemps uni de tourmenter le monde, et malgré Mameloucks et Fouché, etc., sans machine infernale ni pareille bêtise, je l’aurais mis sous terre !… » Mais elle aime mieux être victime que d’avoir des remords. « Ainsi, pour moi, conclut-elle je ne ferais tuer ni empoisonner personne. » Cependant, elle a fait, après l’échec de la République parthénopéenne, tuer, pendre, brûler, égorger ses ennemis à Naples ou ceux qu’elle croyait tels, mais elle n’a aucun remords, car elle a tout