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sûr ? Personne. » Elle est convaincue que pour elle une mort violente et non naturelle l’attend ; « mais je me résigne à mon sort, dit-elle et adore la divine Providence sans scruter quel » sont les motifs qui le lui font permettre et exécuter… Ecrivez-moi tout, tout, tout bien sincèrement, toutes les particulières gentillesses de Buonaparte contre moi. Je ne le crains point, car je ne suis point attachée à la vie. » Elle ne mentait pas. Marie-Caroline avait bien des tares ; mais elle n’était pas lâche. Au contraire, elle avait un courage qui allait jusqu’à la témérité. Alquier prétend qu’elle dit, à la nouvelle de l’exécution du duc d’Enghien : « Je connaissais ce pauvre diable. C’était le seul des princes français qui eût de l’élévation et du courage… Je me console néanmoins de ce qui est arrivé, parce que cela nuira au Premier Consul. » Et elle voyait clair, car cet acte, aussi impolitique que cruel, nuisit profondément à la réputation de Buonaparte et accrut l’audace de ses ennemis qui se préparèrent à de nouvelles attaques contre la France[1].

Elle rougit de l’affaissement général, de la bêtise, de la pusillanimité de tous. « Si Buonaparte voulait par curiosité conserver dans son Muséum deux doigts de tous les souverains de l’Europe, il n’a qu’à l’ordonner. Chacun pleurera à cause de la mutilation et de la douleur, mais chacun les lui enverra. » Cependant, la Russie a manifesté sa réprobation contre l’attentat de Vincennes et l’Angleterre a resserré ses liens avec elle. Marie-Caroline, qui apprend bientôt la création de l’Empire français, dit qu’elle a pris son parti de tout faire pour conserver la paix sans être « l’esclave du nouvel Imperator, auquel cette dignité pourrait bien coûter ce qu’elle a valu à César. » Quant à Napoléon, il fait savoir à Alquier que s’il entre dans le royaume de Naples un corps d’Albanie, il déclarera aussitôt la guerre à Ferdinand. La Reine voit le despotisme s’installer en France. « Tel est le sort que l’égoïsme, l’inconcevable faiblesse, l’éducation des princes et la philosophie ont préparé. » Et dans une lettre des 6 et 7 juin 1804, elle dit à Gallo, en termes agités et confus, tout ce qu’elle a sur le cœur : « Je bénis Dieu d’être à la fin de ma pénible carrière : car les profondes réflexions que tout cela m’aurait fait faire m’auraient entièrement gâté le cœur et rendue despote et tyran. Car on voit clair que les hommes,

  1. Cf. L’Europe et l’exécution du duc d’Enghien par M. Henri Welschinger — Delattre — Lenoël, 1890.